La Planète de Singes : Les Origines était un belle surprise. Après l’échec cuisant de Tim Burton et son remake du film original de 1968, il était difficile de croire qu'une relecture pertinente du roman de Pierre Boule pouvait surgir alors que sévit actuellement une vague de remakes rarement convaincants. Pourtant, le film s'est posé comme un idéal de reboot. Il s'était approprié la base du récit de La Conquête de la Planète des Singes pour réactualiser son argument de science-fiction dans un contexte moderne. L'éveil et le parcours de Caesar dans ce premier film était un vecteur d'émotions passionnant, seulement gâché par un climax maladroit et dont l'ampleur spectaculaire jurait avec les ambitions plus intimistes précédant l'assaut de San Francisco. Reste que ce prémisse laissait attendre une suite qui se doit de transformer l’essai et d'imposer l'identité de cette nouvelle continuité.
Les Origines avait délaissé le discours nucléaire de l'original pour orienter son propos sur l'éthique des recherches médicales et les craintes de contaminations virales. Ce qui est rappelé brièvement dans la séquence générique de L'Affrontement pour établir son contexte post-apocalyptique. Mais suite à ces images d'archives télévisées, les nouvelles ambitions de cet épisode seront vite révélées. Le film va en effet réinterpréter le concept même à l'origine de La Planète des Singes. Dans le roman et le film original, l'inversion des rôles entre hommes et primates était là pour mieux surligner les absurdités de la société humaine. Mais ici, en faisant évoluer parallèlement deux sociétés distinctes dans un environnement où le confort moderne n'est plus, le film permet de s’interroger sur le sens même de ce qui fait une civilisation. Le titre original (Dawn of the Planet of the Apes) est dans cette optique fort bien choisi, puisque l'on assiste à l'aube d'une société simiesque qui se découvre. Les premières scènes sont à ce sens aussi audacieuses que payantes. Avant que les humains n'entrent en jeu (au bout de pas loin d'un quart d'heure de film), pas un seul mot à l'oral ne sera prononcé par les singes. Autant par choix que de par leur mode de vie, ils préfèrent user du langage des signes plutôt que la parole. Ce qui réinstaure le langage comme un outil de communication purement fonctionnel, qui porte ses fruits notamment dans l'excellente séquence de chasse. Outre ceci et les visions d'une cité embryonnaire, de prémices de maisons, d'école, ou encore des débuts d'ornements et d’apparats chez certains individus, l'on vit pendant ces précieux instants le quotidien d'une communauté qui a réussi à s'adapter pendant le déclin de l'humanité. Mais la réussite de Dawn pour présenter de manière crédible un tel groupe ne serait pas complète sans le soin accordé à ses interprètes numériques.
Andy Serkis et The Imaginarium font sans conteste parti des artistes les plus influents à l'heure actuelle dans le domaine de la performance capture, et ont permis de remporter le pari lancé par cette nouvelle saga des singes. Le travail effectué par les acteurs et animateurs pour obtenir un langage corporel en adéquation avec le récit est prodigieux. Il trouve dans le film, encore plus que dans le précédant, un parfait équilibre pour décrire un comportement animalier teinté d'humanité. Le langage des signes mentionné plus haut s'impose d'autant plus pertinent. Voir un singe monter un cheval ou tenir une arme à feu ne paraît pas maladroit ou étrange dans le cadre du film. La droiture de Caesar et l'abandon progressif des postures à quatre pattes des autres protagonistes donnent une transition crédible aux singes quasiment humains qu'il sont censés devenir dans le futur tel que dicté par le film original. Devant les performances des personnages, ajouté à la photographie naturaliste du film, la technologie devient complètement transparente au profit de l'histoire. Comme se devrait être tout effet spécial de cinéma qui se respecte. En terme de pure caractérisation, on est donc aux antipodes du film de Tim Burton qui accolait des mouvements purement simiesques au designs fantastiques de Rick Baker, ce qui créait un décalage malvenu entre background visuel et gestuaire.
De part ces partis pris, le film est donc très solide rien que dans ses parties entièrement centrées sur les singes. Quand il finit par les mettre en corrélation avec les humains, il va permettre de surtout opposer des philosophies communautaires radicalement différentes, l'une prônant la famille, et l'autre des besoins plus matérialistes (avec par exemple le retour de l'électricité comme principal enjeu). Mais cette dualité, en dehors du second de Caesar qui joue le rôle de rival, ne verse pas dans un manichéisme lambda. Les figures fortes de chaque camps, notamment le leader humain campé par Gary Oldman, prennent des décisions pour le bien de leurs communautés respectives. Jamais injustes, mais pas forcément des plus judicieuses. Le jeu de tensions qui s'instaure alors marche à double sens, ce qui amène le spectateur à ne pas souhaiter assister à l'inévitable confrontation des deux factions. Quant cela arrive, le réalisateur Matt Reeves abandonne les tremblements de caméras invivables de son Cloverfield pour une mise en scène bien plus lisible qui a son lot d'images intenses et parfois directement inspiré du film de guerre. Grâce au build-up entrepris jusque là, et par l’anticipation du futur de la série tel que connu par le public, l'affrontement promis par le titre français prend alors un parfum aigre-doux qui laissent sur des résolutions bien amères.
On ne peut que supposer pour le moment ce que la suite réservera au sort de Caesar et des siens, et il reste à voir comment la série va sortir de l'impasse de devoir ultimement se rattacher aux événements du film de 68. Mais en l'état, Dawn of the Planet of the Apes s'avère être un habile film de transition. Se démarquant des différentes versions de cette saga mythique, la continuité instaurée en 2011 par Rise of the Planet of the Apes aborde de passionnantes nouvelles thématiques et réflexions sur son concept de base, et c'est en soit une belle marque de respect de l’œuvre originale.