Voilà, c'est fini. Et c'est triste à dire.
Car cette trilogie moderne de La Planète des Singes se dessine, à l'issue de cette Suprématie et de son générique final, comme l'une des plus belles et intenses dans le cadre du genre blockbuster, estival ou pas.
Ce dernier effort s'inscrit dans une évolution logique de la déshumanisation de la saga, tout en renouant pourtant avec la force des émotions qu'avait su susciter Les Origines, tout en les fondant dans le spectacle haletant que proposait un Affrontement un poil moins réussi dans son drama.
César n'est plus l'objet dans sa relation avec l'humain, ni obligé de chercher le terrain d'entente fragile d'une coexistence illusoire. L'ombre de Koba plane sur ce conflit qu'il n'a pas déclenché. Hanté par cette mort nécessaire mais qui enfreignait la règle qu'il avait établie. Pourtant, Matt Reeves choisit d'entamer son film, à l'inverse des précédents, du point de vue d'une escouade humaine, dont les bons mots inscrits sur les casques renvoient certainement au Stanley Kubrick de Full Metal Jacket. Pour ensuite mettre en scène un guerre totale et d'une brutalité rare. La survie simiesque est difficile, chaque corps inanimé évoque le sentiment d'un gâchis irréparable. Et avec la perte des siens, au terme d'un assaut nocturne haletant, César montrera qu'il est, lui aussi, capable d'une rage toute animale, d'éprouver un sentiment de vengeance tout ce qu'il y a de tristement humain, loin de la détresse de son abandon dans Les Origines.
De film de guerre animé par les percussions primales d'un Michael Giacchino étincelant, Suprématie bascule dans une sorte de western crépusculaire et enneigé à la trajectoire dramatique inéluctable. L'ombre de Koba y plane toujours, jusque dans un onirisme presque christique qui dessine son visage mutilé et son oeil laiteux. Reeves convoque tour à tour, dans sa narration, une sorte de Livre de la Jungle à l'envers, l'épopée religieuse ou encore le film de prison braconnant du côté de La Grande Evasion. En étonnant à chaque fois, en prenant le spectateur à revers de ses attentes, comme il le fait avec les émotions qu'il convoque.
Car les singes, en effet, n'auront jamais été aussi vrais, aussi vivants et attachants. Leurs attitudes n'auront jamais été aussi réalistes, leur regard aussi humain. Jusqu'à en être parfois troublant, déstabilisant. Les artistes néo-zélandais de Weta ont atteint de toute évidence un nouveau palier dans l'excellence technique, mise au service de la narration, des émotions et du souffle épique qui nourrissent le chef d'oeuvre qu'est Suprématie. Ainsi que des différentes performances d'acteur qui s'expriment malgré les masques numériques, tel Maurice, Rocket, Bad Ape et bien sûr, César lui-même.
Loin de rentrer dans le cahier des charges du blockbuster, ce dernier épisode de La Planète des Singes new look propose au contraire son lot d'images extrêmement sauvages et / ou dérangeantes, comme certains primates s'en prenant à leurs semblables, ainsi qu'un héros en demi-teinte, constamment dessiné entre ombre et lumière, entre figure messianique et simple chimpanzé animé d'une colère impossible à maîtriser. Reeves, par ailleurs, pousse encore plus loin son personnage principal en l'adossant à un colonel, aux accents de Kurtziens, en qui César se reconnaît bien plus qu'il ne voudrait l'admettre, glissant au passage certaines thématiques liées au fanatisme et à la radicalisation. Il y est aussi question d'évolution, de cette race humaine désespérée dont les mots s'éteignent lentement alors que parallèlement, les singes deviennent de plus en plus loquaces. Douce ironie.
Tout cela dans un film aussi éclectique dans sa forme que spectaculaire, aussi crépusculaire qu'étrangement serein, mélangeant les meilleurs aspects de ses deux aînés dans une forme de sommet qu'il sera difficile de dépasser, tout en sortant des cadres et des codes propres à l'industrie cinématographique actuelle. Matt Reeves serait-il devenu un nouveau porte étendard de l'intégrité et de l'indépendance artistique au sein des majors ? Il aura réussi, en tous cas, aux côtés d'Edgar Wright et de son Baby Driver, à donner de superbes couleurs à un été cinéma 2017 jusqu'ici un peu convenu.
Behind_the_Mask, un singe en hiver.