Alors apparemment c'est le film d'horreur du moment sur Netflix et comme je suis entre deux séries je me suis dit pourquoi pas.
Je vais avoir du mal à en faire une critique.
La Plateforme c'est un film très allégorique. C'est ce qu'on appelle un apologue, un genre de fable qui dégage un sens moral (à la manière des fables de La Fontaine), donc on est dans le domaine du film philosophique, avec une interprétation assez libre je pense. La morale ici, je ne suis pas sure que la façon dont moi je le lis sera correcte.
Le sujet traité ici en toile de fond c'est la solidarité dans un système basé sur la classe (ici représentée par le numéro d'étage), on retrouve le schéma de la pyramide sociale avec les "riches" (les bien nourris) en haut et les pauvres (mal nourris) en bas.
Selon moi le but c'est de mettre en évidence l'absurdité et l'injustice d'un tel système, et la façon dont il s'auto entretien dès lors que les gens qui en font partie malgré eux se plient au système en se nourrissant égoïstement.
Quand on ramène le propos à quelque chose de simple je me dis, ouais c'est bien mais c'est un peu "naïf" dans le sens où finalement, on nous dit (j'exagère le trait) "la société de classes / capitaliste c'est de la merde, et personne n'y gagne" - in fine c'est une morale simple.
Je dis pas qu'après la démonstration sociologique et psychologique n'est pas inintéressante, loin s'en faut, mais on n'est pas non plus dans un message nouveau ni très polémique en fait.
De ce point de vue là, le film m'a un peu laissé sur une impression mitigée parce qu'en soit il est super bien réalisé, la tension ne m'a pas lâché du tout, sur la forme il est génial, mais je pars pas non plus avec une illumination sur le plan de la morale que le film défend.
Encore une fois je dis pas que c'est pas bien, ni qu'il rate son coche ou que la morale développée n'est pas intéressante, pas du tout, je suis juste dubitative, j'en ressors pas avec l'impression d'avoir été chamboulée par cette morale, même si je trouve le propos bien développé et bien démontré, et qu'il ouvre à la réflexion.
J'aime beaucoup la façon dont est traité la folie du personnage principal - au départ sain d'esprit, cultivé - civilisé - il perd peu à peu sa décence d'être humain en se perdant dans ce qu'engendre ce système dans lequel prévaut la loi de celui qui se goinfre quand il le peut, quitte à ce que ça soit se goinfrer d'un être humain. Il est déshumanisé par un système dans lequel au départ il a lui même choisi de contribuer.
On se rend assez vite compte que personne dans cette tour n'échappe à cette perte d'humanité, jusqu'à la jeune femme qui n'est représentée que bestiale. Elle représente le paroxysme de cette folie déshumanisatrice. Elle ne parle pas, est constamment en position accroupie, animale, elle tue avec brutalité. Elle n'est que brutalité sauf une fois lorsqu'elle est imaginée sensuelle par le protagoniste. C'est elle selon moi qui représente ce en quoi le système présenté est mauvais. Elle n'est humanisée qu'à travers le regard du protagoniste.
Il est aussi question de "solidarité spontanée" - c'est justement notre protagoniste qui le représente. C'est lui qui est désigné pour rétablir une forme de justice. Dans sa folie il ne perd jamais ce sens là de l'injustice, et finira par se révolter d'une certaine manière, après avoir été englobé dans le système (assez vite d'ailleurs).
Dans le modèle qu'on nous présente, la révolution anti-capitaliste ne se fait pas par la diplomatie. On pourra demander gentiment aux nantis de se rationner, rien n'y fera, ceux d'en haut n'écoutent pas et ceux d'en bas ont trop peur du manque. C'est par la violence que le personnage parvient à faire respecter peu ou prou l'équité.
Transposé concrètement, ça veut dire, je pense, que la seule façon selon le personnage pour qu'une société capitaliste fonctionne, c'est de rationner les classes moyennes et aisées afin de permettre aux plus démunis de garder un peu de décence. Ce à quoi on lui répond que ça ne marchera pas, qu'il faut envoyer un message.
Ici le message, c'est d'abord un plat, puis une enfant. On renvoie aux cuisiniers, à l'administration, un plat entier. Là je dois vous avouer que mon interprétation dudit message est floue.
La nourriture pour moi, représente la richesse, le confort, le pouvoir d'achat, dans notre société occidentale c'est ça, la "part du gâteau", ça se représente par les biens que l'on peut s'offrir. Les classes se font en fonction de notre capacité à consommer. (On notera le passage ou le vieux monsieur au début nous raconte l'achat de son couteau, c'est un parfait exemple de la société de consommation, et ça met en relief son absurdité).
Renvoyer un plat entier, si je le transpose ça voudrait dire qu'une personne qui ne possède rien, se voie par le biais de la générosité en capacité de consommer et refuse ce privilège. Je le vois un peu comme l'acte de refuser de faire partie du système.
Mais renvoyer l'enfant, qui n'est pas supposée exister, pour moi ça change le message. Dire que l'enfant n'existe pas ça revient à dire que l'atrocité (ironiquement) n'existe pas. Selon la femme de l'administration, le système est juste, la femme qui cherche son enfant est folle, il suffit de transmettre une sorte de pensée positive pour que les choses s'améliorent d'elles-mêmes.
Mais au final la seule chose qui va vraiment fonctionner c'est de mettre le système face à ses propres fautes, en lui renvoyant littéralement son atrocité.
On envoie l'enfant, qui est au plus bas niveau de l'échelle sociale, vers le niveau zéro. Je ne sais pas très bien ce que cela veut dire, j'y réfléchirai.
La fin est je trouve assez ouverte à l'interprétation, ça se termine sans donner de réponses aux problèmes posés. Dans quelques cas c'est un genre de fin que je n'aime pas (je trouve ça fénéant, comme technique, on n'explique rien donc on ne se mouille pas) ici je pense vraiment que donner des réponses aurait desservi le film. Le but in fine c'est d'éveiller en nous une critique du système dont nous faisons partie. Le protagoniste n'obtient pas de réponses, nous non plus, parce qu'il est sensé nous représenter. La fin est ouverte mais il y a quand même assez de pistes qui font que ça se passe d'explicitation. Ce film fera donc partie des quelques films dont la fin ouverte m'a brièvement frustrée mais finalement m'a plu.
Pour conclure, je pense que The Platform n'est pas seulement une description, une allégorie et une métaphore, de la société occidentale, mais donne aussi des pistes sur la façon dont on peut détruire un système inégalitaire et injuste. Il soulève les problèmes intrinsèques à ce système et pose des réflexions sur la façon dont il peut se collapser.
On trouvera aussi bon nombre d'autres themes, je fais une critique à chaud alors j'ai dû laisser passer plein de pistes de réflexion - il est aussi beaucoup question de religion, par exemple, le thème du messie et de Corps du Christ (qui représente le pardon, la charité et la fraternité et est aussi symboliquement supposée apporter l'immortalité) reviennent plusieurs fois. On pourrait trouver matière à analyser ici.
Il y a aussi la référence à Don Quichotte, le mec qui chasse des moulins à vent, je vous laisse faire vous-même le lien entre le livre et le film.
Sur la forme je l'ai trouvé excellent, le montage, l'esthétique, les sons, les dialogues, les jeux d'acteurs, tout fonctionne bien. Il développe très bien son propos, et ouvre à la réflexion. Là où je suis un peu plus réservée c'est sur le fait que la critique sous jacente, sans être non nuancée, est un peu simple (pas simpliste, juste un peu simple).
Je trouve un peu pénible aussi quand un film veut éveiller ma conscience, comme si on avait besoin d'une aide extérieure pour ça, pour savoir que le système sur lequel la société est basé est contestable. A chaque fois j'ai un peu l'impression qu'on me dit "tu vois pas comment est le monde, attends je vais te montrer, tu as besoin que je t'ouvre l'esprit".
Je dis pas que ce film là veut faire ça exactement, mais c'est très souvent quelque chose qui me gêne dans les films philosophiques/critique, ici j'ai quand même un peu cette impression qu'on veut ouvrir les yeux du public, partant du présupposé qu'on est dans l'ignorance, si vous voyez ce que je veux dire,alors qu'il faut pas être hyper aware pour constater les défauts d'un système capitaliste basé sur la consommation. Je trouve ça intéressant mais çà peut très vite être pompeux et hautain. Heureusement ici on en arrive pas tout à fait là, mais j'ai quand même du mal avec les apologues, donc avec les médias moralisateurs.
Ça reste un très bon film quoi qu'il en soit, et je pense qu'il sera très intéressant à analyser.