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C'est au soir du 1er Janvier que nos chers show-runners Steven Moffat et Mark Gatiss nous ont gracié d'un nouvel épisode de Sherlock - annoncé comme un "stand alone", c'est à dire un épisode qui ne s’inclurait pas dans la série - habile manœuvre pour garder secrète la signification réelle de cet épisode intitulé The Abominable Bride. Habile, ceci étant dit nombreux étaient les fans qui avaient déjà réalisé la supercherie plusieurs mois auparavant - sans me vanter: moi comprise.


Il y a tant à dire sur cet épisode, qui se lit sur maints niveaux - tous subtextuels. (Je ne pourrais par conséquent pas aborder tous les thèmes en profondeur mais sachez que je le fait sur Tumblr et que les analyses sont déjà très nombreuses, n'hésitez pas à y jeter un oeil). Comme le disait un jour Steven Moffat, si vous ne lisez pas le subtext, "hell mend you". C'est la moindre des choses que nous demandent les showrunners, ce n'est pas une série de divertissement devant laquelle on se laisse porter, le spectateur a sa part active à fournir dans l'histoire.
TAB n'aurait pas de sens si vous n'y prêtez pas d'attention, et peut-être - surement - est-ce là la raison pour laquelle tant de spectateurs se sont senti perdu dans le dafuq.
Le fait est que cet épisode est parfaitement sensé et compréhensible pour qui prend la peine de s'intéresser au sujet de la série - qui n'a jamais été les enquêtes, mais la relation entre les personnages. Sherlock n'est pas une série policière, ce nouvel épisode en apporte une preuve flagrante.


Avant d'entrer plus avant dans le vif du sujet, commençons simplement par préciser que quasiment tout l'épisode se déroule dans l'esprit de Sherlock Holmes des suites d'une prise de drogue suffisamment importante pour provoquer une overdose.
Déjà on vous pose ça là, Sherlock Holmes - avant même de savoir que Moriarty était apparemment de retour - s'est infligé une administration faramineuse de drogues - alors qu'il était en cellule d'isolement depuis une semaine entière, conscient du fait qu'il allait être envoyé pendant 6 mois en Serbie loin de ses amis et surtout de John Watson, personne pour laquelle il a risqué sa vie en premier lieu (à de multiples reprises) - période au terme de laquelle il allait vraisemblablement mourir. Ce que cela indique déjà est que Sherlock Holmes préfère de loin mourir selon ses propres termes - pendant le voyage en avion, plutôt que de supporter 6 mois de solitude loin des êtres qui lui sont cher - loin de son Boswell, son ami et plus-qu'ami, John Watson, pour qui il a démontré son attachement à de multiples reprises - textuellement et subtextuellement.


Ca commence joyeux, n'est-ce pas? Mais je vous l'ai dit, Sherlock n'est pas une série policière, c'est un drame.
Avant de continuer vous devez bien vous rendre compte d'abord de ce que John Watson représente aux yeux de Sherlock Holmes, car là est le but de l'épisode.


Là se situe tout le problème, le point central autour duquel tournent les questionnements et inquiétudes de Sherlock - qui est John Watson pour lui?
Les avis divergent grandement sur ce sujet mais s'il fallait une preuve de plus pour affirmer qu'il s'agit d'une romance, focalisons-nous deux minutes sur cette scène subtilement reprise du magnifique La Vie Privée de Sherlock Holmes par Billy Wilder (titre original The Private Life of Sherlock Holmes), la fameuse scène "vous êtes présomptueux", dans laquelle John Watson questionne Sherlock Holmes sur sa sexualité et ses expériences dans ce domaine, ce a quoi (officiellement et au regret de Wilder qui aurait aimé mener plus loin son projet, pieds et poings liés par l'homophobie décomplexée de l'époque se manifestant par la censure) Holmes élude la question mais sous-entends de façon assez explicite qu'il "ne mange pas de ce pain là". Pour dire ça simplement, dans La Vie Privée de Sherlock Holmes cette scène a pour but d'expliciter l'homosexualité de Holmes et son attirance pour John Watson.
Or il n'est un secret pour aucun fan de la série que l’œuvre de Wilder est la préférée de Mark Gatiss et qu'il s'en est largement inspiré pour la série qu'il mène avec Moffat.
Et voici que dans The Abominable Bride nous avons la même scène, réécrite dans un contexte différent - attendant l'imminente attaque du "fantôme" d'Emilia Ricoletti, John (qui je vous le rappelle est une projection mentale) pose cette même question à laquelle Sherlock tente d'échapper. Mais la réponse est donnée dans la forme, dans le choix de re présenter cette scène qui initialement à pour but je vous le rappelle d'expliciter l'homosexualité de Sherlock: Sherlock mon ami, vous êtes gay et avez fui toute relation par peur de l'implication émotionnelle que cela engendre. N'est-ce par parce que vous étiez en fait doué d'une sensibilité et d'une empathie forte que vous avez sombré dans l'addiction des suites de la mort de Redbeard - chien de votre enfance ou bien symbole mental de votre autre frère disparu - vous avez peur des émotions et du fait qu'elles font parfois souffrir n'est-ce pas? Rassurez vous monsieur Holmes, l'atterrissage n'a pas toujours une issue fatale. Aimer n'est pas un désavantage comme vous le pensiez alors, il peut être une force, une alliée sans faille, comme vous le réaliserez avant la fin de cet épisode.


The Abominable Bride est une réécriture de La Vie Privée de Sherlock Holmes, ne vous en déplaise. Et si l'on ne considère pas cela comme étant un élément central, évidement l'épisode apparait n'avoir aucun sens.


On ne peut tout simplement pas expliquer cet épisode sans expliquer la dynamique entre ces deux personnages attachés l'un à l'autre par un amour indéfectible et silencié par des siècles d'homophobie.
Le choix de l'année par exemple. 1895. Il ne peut être expliqué que d'une façon: il s'agit de l'année du procès d'Oscar Wilde, ami de Arthur Conan Doyle, accusé d'homosexualité et condamné à deux ans de travaux forcés. Année durant laquelle nombre d'homosexuels ont fuit Londres dans la peur de cette loi ignoble. Notablement, 1895 est l'année durant laquelle se déroule l'une des aventures du célèbre duo, dans laquelle Watson indique qu'une "série d'évènements" les ont forcé à quitter Londres pour quelques temps.La nature de cette "série d'évènement" ne laisse guère place au doute.
Ce n'est là qu'une évidence parmi d'autres.


Récapitulons donc la nature de cet épisode. Il s'agit de Sherlock Holmes faisant une overdose dans laquelle il hallucine un monde Victorien - rêve dans lequel chaque personnage est une représentation métaphorique d'un aspect de Sherlock lui-même, la représentation d'une personne telle qu'il le perçoit, ou un souvenir - ou tout cela simultanément.
Vous ne pouvez certainement pas envisager de saisir la complexité de l'épisode si vous ne gardez pas cela bien en tête.
Il s'agit donc de Sherlock Holmes luttant contre ses démons intérieurs, le cas de Emilia Ricoletti n'étant qu'un prétexte, une métaphore. Là n'est pas le point essentiel.
Bien sûr l'idée de base est de résoudre l'énigme Moriarty, mais ce faisant, Sherlock plonge plus loin dans son introspection et finit par comprendre la nature de ses peurs et angoisses, jusqu'à cette apogée où finalement, sous les symboliques chutes du Reichenbach représentant le jour où Sherlock à dû choisir l'exil et la perte de son ami dans le but de le sauver, ce faisant déniant la confiance de John - résous le problème: il doit laisser John être à ses côtés. Il ne peut espérer une issue positive s'il n'admet pas qu'il a besoin de John pour défaire ses ennemis - réels ou symboliques. Finalement, il comprend que les sentiments ne sont pas une faiblesse mais une force.


Vous devez garder en mémoire que dans son esprit chaque personne est la représentation d'un aspect de Sherlock lui-même, alors si Moriarty représente ses peurs et sa sexualité refoulée; que représente John? La réponse est simple: le coeur - les émotions, les sentiments. The Abominable Bride s'achève sur Sherlock faisant la paix avec ses émotions - admettant enfin que la solitude et les barrières défensives qu'il a dressé tout autour de lui ne le protègent pas; que la "machine à calculer et à résoudre les problèmes" est une illusion; qu'il ne peut rien s'il n'admet pas l'importance d'avoir John / ses émotions (le coeur) à ses côtés.


TAB est l'expression la plus importante et la plus émouvante du développement du personnage, un pas extrêmement important à été franchis, et la saison promet d'être riche, très riche de cette évolution.
Reste à présent simplement pour John d'avancer également, et cela ne se fera pas sans peine et sans larmes. Songeons bien qu'un moment donné nous sera proposé une révision des Trois Garridebs. C'est la suite logique. Mais nous n'en sommes pas encore là.


Subsidiairement, The Abominable Bride nous offre également une avancée émouvante dans le problème que présente la fratrie Holmes et leur passé.
Nous avons ici l'expression encore jamais vue de façon aussi claire et explicite - quoi qu'en prenant garde de lire au-delà du texte, c'était déjà évident - de l'amour fraternel partagé par ces deux hommes autrement distants l'un envers l'autre. Séparés et néanmoins rapprochés dans le drame que fut Redbeard et son destin funeste - qu'il se fut agit d'un chien ou d'un frère - sa mort est l'élément premier qui marque la dynamique de ces deux frères qui s'aiment autant qu'ils se rejettent l'un l'autre. Redbeard sera à n'en pas douter l'un des éléments les plus important dans les prochains épisodes.


Ensuite, le problème Moriarty - résolu (si ce n'est complétement du moins partiellement) grâce au parallèle effectué avec le cas d'Emilia Ricolletti, nous indique subtilement que Madame Mary Morstan a son rôle à jouer dans l'affaire. Ne sous-estimons pas la sympathique Mary, elle pourrait cacher son jeu bien plus férocement que nous le pensons.
Espionne au service de Mycroft ou de Moriarty? Jumaux? Frères et sœurs? Les indications quand à son rôle à jouer sont légion depuis sa première apparition jusqu'à cet épisode représentant une immense déduction de Sherlock - explicitant le fait que son subconscient voit un lien entre ces deux personnages - Mary et Moriarty.
Car n'oubliez pas: nous sommes témoins de ce qu'il perçoit, de ce qu'il pense. Sherlock perçoit Mary comme une intrigante, une énigme qu'il résout pas à pas. Cela aussi fera parti des points centraux à élucider dans la prochaine saison.


Le dernier point que j'aborderais sera placé sous le signe des femmes. Dans cet épisode, d'une part Moffat et Gatiss nous envoient une belle lettre d'excuse après que nombre de fans aient pointé le manque d'appréciation des femmes dans la série, d'autre part nous assistons à une autre évolution dans la psyché de Sherlock Holmes. Son rapport aux femmes.
Créant un John imaginaire misogyne et condescendant envers les femmes de son entourage, Sherlock représente son propre dédain de la gente féminine.
Il les a si souvent manipulées, rejetées, ignorées, non parce qu'il serait un fervent haïsseur des femmes mais parce qu'il ne peut tout simplement pas les laisser entrer dans sa vie de la façon dont elles le voudraient. Toutes les femmes auxquelles il finit par présenter ses excuses sont celles qu'il a sentimentalement éconduit et sous-estimé.
Besoin d'une nouvelle preuve que pour Sherlock, "les femmes ne sont pas son domaine"? La voici. Cela nous indique également que nous, spectateurs, ne devons en aucun cas sous-estimer ces femmes - cela nous ramène une nouvelle fois à l'énigme que représente Mary Morstan.


The Abominable Bride est un voyage dans la psyché de Sherlock Holmes, ce que nous y voyons sont ses peurs, ses espoirs, sa lutte contre ses démons intérieur, sa réalisation finale que ses peurs sont infondées et qu'il peut laisser les sentiments entrer dans sa vie, que "l'atterrissage ne sera pas fatal" s'il "tombe" [amoureux]. [En parlant de ça, notez la chute de "the elephant in the room" - expression anglaise désignant un non-dit qui pèse lourdement entre deux personnes.]
Vous étiez venus pour les enquêtes? Désolée mais là n'est pas le sujet de cette série, et le fait que cet épisode soit parfaitement incompréhensible pour qui ne voit pas que Sherlock et John sont destinés à être un couple peuvent d'ores et déjà passer leur chemin. Le Sherlock de Moffat et Gatiss n'est rien moins qu'une fiction visant à réparer l'injustice qui avait été faite aux personnages depuis l'époque où l'on pouvait tout perdre si l'on avait le malheur de ne serait-ce que sous-entendre qu'un personnage était gay - comme Billy Wilder l'avait tenté avant eux, sans pouvoir aller jusqu'au bout de son idée.
Tout comme les femmes dans The Abominable Bride, Moffat et Gatiss se dressent pour lutter contre "l'une des plus grandes injustices depuis que le monde est monde". Sexisme ou homophobie, l'injustice est de même ampleur - et nos chers show-runners se dressent contre les deux, faisant d'une pierre deux coups, et à cela je dis chapeau bas messieurs, et merci.


TAB est une perle, un bijou que l'on prendra plaisir à analyser point par point, une perle que hélas, on ne peut pas comprendre si l'on décide de se laisser porter paresseusement par ce qu'il présente en surface. You have go deeper. TAB est un épisode traitant le sujet des apparences et de ce qu'elles dissimulent.
Il constitue une clé essentielle à la compréhension du personnage, ses doutes, ses envies. Sans nul doute aucun The Abominable Bride est un chef-d’œuvre, soutenu avec brio par des acteurs au talent qui n'est plus a démontrer.
Prenons pour exemple Martin Freeman qui joue trois John Watson très différents, le réel et les deux projections mentales de Sherlock, sans toutefois jamais perdre l'essence de qui est John Watson.
Chacun des acteurs mérite une ovation pour la finesse et la précision chirurgicale de leurs interprétations.
Écriture, mise en scène, jeu d'acteurs, tout cela mis au service d'un fantastique voyage introspectif riche en symbolisme et en révélations. Encore une fois: chapeau bas, mes attentes ont été comblées au-delà de mes espérances et j'attends avec une fébrile excitation la suite qui nous plongera à n'en pas douter encore plus loin dans le ravissement et le frisson, car tout n'est pas résolu. Si le démon intérieur de Sherlock est défait, il n'en est pas de même pour les réels antagonistes de l'histoire. Beaucoup de troubles sont encore à redouter avant qu'enfin, après 129 années, Sherlock Holmes et John Watson ne trouvent la paix, tout deux ensemble contre le reste du monde, forts de l'amour que n'auront pu ternir des siècles de douleur et d'hétéronormativité. Le premier pas à été franchit pour Sherlock Holmes, le chemin est encore long mais l'issue vaut toutes les peines - et le projet que mènent Steven Moffat et Mark Gatiss marqueront un point historique dans l'univers holmésien ainsi que dans la lutte des communautés lgbt+ pour une représentation plus fidèle dans les médias actuels.
Je ne peux pas forcer qui que ce soit à embrasser cette conviction, sachez seulement que l'analyse approfondie de la série comme du canon - en comptant TAB qui est en lui-même une preuve incontestable des intentions des créateurs de la série - ne permettent pas de doutes.


Encore une fois, bravo pour cette leçon de cinématographie et de maitrise du subtext, cet épisode est un réel cadeau pour les fans de la série qui prennent soin de voir au-delà des apparences que présente le texte.

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le 7 janv. 2016

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Keagan Ash

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