Sevrés que nous sommes de l'une des meilleures séries actuelles, "Sherlock", nous nous sommes précipités sur cet objet bizarre qu'est "The Abominable Bride", appâtés par le format (un téléfilm de 1h30 pour faire patienter les fans entre deux saisons) et le pitch (un retour vers l'univers et la temporalité originaux de l'oeuvre de Sir Arthur Conan Doyle). Et nous avons vite réalisé que "The Abominable Bride" était un "objet" furieusement déceptif : le voyage dans le temps n'était qu'un trip dans un esprit malmené par les drogues, et par delà une intrigue rapidement cousue de fil blanc, ce film s'inscrivait au plein coeur (obscur) de la série, questionnant même audacieusement l'oeuvre originale (sur des points certes "connus" comme l'homosexualité de Holmes, les véritables liens entre Watson et lui, et les origines de ses addictions). Certes à demi réussi - on se fatigue quand même du mindfuck à force que le scénario, trop malin, trop ambitieux, donne des tours de vis à ses aspects "métas" - cet "épisode" est peut-être le plus essentiel de la série à date. En jouant brillamment avec différents niveaux de lecture (les Watson que l'on voit ici sont l'expression des sentiments de Holmes, perdu dans "le palais de son esprit", mais Holmes lui même se reconnaît comme créature de fiction engendrée par Watson), citant directement le travail de Billy Wilder sur "le mythe Sherlock Holmes" en profitant de la liberté offerte par notre époque pour aller plus loin, Gattis et Moffat nous offrent une oeuvre littéralement vertigineuse, dont les défauts criants (l'énigme assez creuse, l'usage lourdingue du personnage de Moriarty) ne gâchent pas la fascination. Reste à espérer que la prochaine saison de "Sherlock" poursuive sur la même voie. [Critique écrite en 2016]