La Plateforme, comme de nombreux films produits par Netflix, a en principe tout pour plaire : un scénario ambitieux et original et un visuel léché sur fond de critique sociale. A une époque inconnue, dans une société dont on ne saura rien, des hommes et des femmes se retrouvent enfermés en binômes dans une tour géante composée de centaines d'étages, à travers lesquels circule une plateforme remplie de nourriture. Ceux qui sont au dessus des autres mangent comme des rois. Ceux du dessous mangent leurs restes. Le contact est possible, car les étages communiquent ; mais personne ne transgresse les règles et ceux du dessus n'aident jamais ceux du dessous. Malgré tout, chaque mois, de manière aléatoire, les rôles s'inversent et les étages sont redistribués entre les prisonniers, impactant ainsi considérablement les rapports des uns et des autres.
S'inscrivant dans la lignée de films comme Snowpiercer de Bong Joon-ho, le propos est aussi limpide que possible dans cette histoire minimaliste : la plateforme, on le comprend instantanément, est à la fois la métaphore et la représentation concrète des rapports sociaux verticaux et de leur violence, comme l'était le train et ses compartiments dans Snowpiercer. La différence réside principalement en ce que le dispostif accentue drastiquement la volatilité des positions de chacun : dans la plateforme, les plus riches n'ont aucune garantie de le rester, puisqu'ils peuvent passer du niveau 5 au niveau 171 de manière absolument aléatoire. Une belle manière d'ouvrir les yeux des résidents sur l'absolue nécessité d'être solidaires dans cette épreuve, comme l'explique d'ailleurs l'un des personnages : si chacun se contentait de manger sa portion, il y aurait assez de nourriture pour tout le monde (entendez : si chacun se contentait sur Terre de n'utiliser que les ressources qui lui sont allouées, personne ne serait misérable). Une réflexion intéressante et évidente, à l'heure du confinement, du pillage des supermarchés, de la pollution et de la destruction de la planète.
C'est au final cette évidence absolue de la métaphore qui constitue le principal défaut du film : comme Trimagasi le répète (ad nauseam, afin que le spectateur un peut lent ait bien saisi le principe), tout est "obvio", tout est transparent. Chaque personnage a un rôle défini et limpide : Goreng représente le spectateur et ses questions, son premier compagnon le cynisme de la loi du plus fort, la deuxième l'espoir et l'idéalisme. Rien de bien subversif ni de palpitant,
quand bien même la première scène de cannibalisme horrifique se produit dans les trente premières minutes du film.
La tension, élément clé de ce huis clos géant, retombe systématiquement face à des choix scénaristiques qui manquent cruellement d'audace et évacuent rapidement l'horreur, la vraie, de la bestialité humaine supposément centrale mais rarement montrée dans toute sa viscéralité. La folie y est représentée de manière grossière, à travers un enchaînement de plans accélérés où Goreng se tape la tête contre les murs (renversant). On déplore également certaines incohérences et maladresses énormes :
pourquoi personne avant le héros n'a eu l'idée pourtant évidente de remonter en utilisant la plateforme ? A quoi sert le personnage de Miharu, dont la trajectoire est très floue, si ce n'est à introduire grossièrement la fin -dont la crédibilité est questionnable, et à permettre l'insertion d'une scène de sexe fantasmée relativement inutile ? Pourquoi montrer si régulièrement les cuisiniers du niveau 0, sapant ainsi toute forme de suspens sur l'invisibilité et l'anonymat du système, si ce n'est pas pour filmer une confrontation avec eux, même minime ?
Le film avance ainsi maladroitement jusqu'à un dénouement expéditif et pseudo ouvert, censé laisser le spectateur songeur et méditatif par sa simplicité complexe. Au final, de nombreux enjeux qui auraient pu être très intéressants sont évacués et tout l'intérêt de ce long métrage retombe comme un soufflé avant la fin de la première heure. C'est très dommage, car l'idée était riche et les images soignées. Comme c'est souvent le cas avec une bonne partie des productions Netflix (Velvet Buzzsaw, Annihilation...), le pitch est séduisant mais le spectateur reste sur sa faim face à ce qui n'est au final qu'une belle coquille vide.