Avec son titre aussi vague qu'évocateur, son synopsis allusif et son affiche aux tons jaunis, The Village se pose d'emblée comme un mystère à déchiffrer. Une telle sobriété dans le paysage du cinéma horrifique des années 2000, sursaturé de gore, de remakes et de sequels laborieux, ne peut, a posteriori, qu'intriguer ; quel est donc cet étrange ovni, porté par le réalisateur de The Sixth Sense et de Split, au casting cinq étoiles ?
Si The Village, disons-le clairement, n'a pas la force disruptive ou l'ambiance étouffante que l'on pouvait espérer à la lecture du résumé, il se distingue néanmoins pour de nombreuses raisons, dont la moindre n'est pas son relatif avant-gardisme dans le monde de l'horreur. L'histoire est très simple : une petite communauté puritaine et unie, difficile à situer dans le temps et l'espace, vit dans la crainte et le respect de mystérieuses créatures des bois, Those-We-Don't-Speak-Of (très Voldemort), avec qui ils ont passé un pacte de coexistence pacifique. Ils peuvent ainsi mener leurs vies comme bon leur semble, à condition de ne pas s'aventurer au-delà des limites de leur village, dans la forêt, sur le territoire des ces êtres mystérieux, et de ne pas tenter de communiquer avec les autre villes lointaines dont ils ont vaguement connaissance. Mais les conditions de vie difficiles de ce petit hameau rendent le respect de cette règle et leur isolement de plus en plus intenables. Tout l'enjeu du film repose alors sur la transgression possible de cet interdit fondamental et quasi-religieux, bien que Dieu soit résolument absent de l'histoire ; a priori, rien de très neuf ou de bien excitant .
Néanmoins, le film réussit à faire preuve d'une remarquable intelligence concernant le traitement des thèmes abordés. Si l'on peut grincer des dents face aux dialogues ampoulés et à la candeur émouvante des héros archétypaux (l'aveugle, le fou, le sage ou encore le visionnaire), leur fort pouvoir symbolique s'avère finalement d'une grande justesse dans ce qui se révèle être un conte qui, à défaut d'être révolutionnaire, est porteur d'une réflexion politique douce-amère. En effet, comme l'on peut s'en douter, le monde en vase clos de The Village n'est au fond qu'un miroir tendu à notre société ultra-moderne et supposément vide de sens ; mais le film ne se contente pas d'opposer les deux et explore en profondeur le rôle fondateur du mythe dans le monde humain et son pouvoir performatif, dont la force vient nourrir le plot twist de l'intrigue.
Ainsi, le sel du film ne réside pas tant dans la découverte que Those-We-Don't-Speak-Of n'existent pas, mais dans la possibilité qu'ils existent peut être, le temps d'un instant de doute vertigineux, et que la réalité de leur existence ne pèse au fond que peu face au pouvoir que les personnages -et nous-mêmes- décidons de leur donner.
C'est sans doute ce questionnement qui rapproche le film des longs-métrages horrifiques plus récents, qui utilisent eux aussi le cadre de la communauté comme métaphore politique pour réfléchir aux éventuels travers et dérives conservateurs de nos sociétés actuelles. A l'heure des fausses vérités et de la montée de nationalismes porteurs de repli sur soi, le film résonne anachroniquement avec notre actualité sociale et culturelle. Ainsi, l'atmosphère puritaine, l'atmosphère feutrée et la question de la croyance comme cadre de vie ne sont pas sans rappeler le très réussi The Witch, sorti en 2016, où il était également question métaphoriquement de monstres, de magie et d'émancipation. The Village résonne également avec certains questionnements communautaires de Midsommar, sorti en 2019 , ou avec la paranoïa de It Comes At Night, sorti en 2017.
Comme dans ces films, ce fil conducteur réflexif est un temps éclipsé par le désir de savoir, de percer le mystère ; mais une fois évacuée cette interrogation, on s'aperçoit que l'intérêt de l'histoire réside ailleurs et que la vérité importe peu. On regrettera peut être l'absence d'une dénonciation plus directe, un suspens moyennement bien maîtrisé et la relative facilité du dénouement ; il n'empêche qu'avec ses interrogations résolument modernes, portées par photographie maîtrisée et une esthétique minimaliste très cinéma d'auteur, The Village reste un film étonnamment en avance sur les préoccupations et la forme de son genre et vaut sans aucun doute le détour.