Et si MTV avait existé en 1940 ?
Ça aura mis du temps, mais ça y est : la France a fini par laisser les comédies musicales envahir ses planches. Plus ou moins considérée dans notre pays, cette forme de spectacle est beaucoup plus traditionnelle chez nos amis anglosaxons qui ont même érigé Broadway en Mecque du genre depuis un bon siècle. On y fait naître quelques stars dont la notoriété est parvenue jusqu'à nos oreilles. Parmi eux, Jerome Kern, largement méconnu en France, est un compositeur à l'origine d'une ribambelle de chansons populaires en Amérique et instigateur (avec d'autres) d'un âge d'or du spectacle musical.
La Pluie Qui Chante est un biopic à l'ancienne, réalisé à une époque où l'on ne cherchait pas à tout prix la fêlure caractérisant quelqu'un et où on ne voyait aucun inconvénient à faire intervenir de gros élèments de fiction. Nous rejoignons donc Jerome Kern à la première de son plus grand succès : Show Boat. Dans sa voiture, il demande à son chauffeur de faire un détour jusqu'au lieu de sa rencontre avec James Hessler, un arrangeur qui deviendra son meilleur ami. L'occasion pour Jerry de raconter sa success story.
Et le moins qu'on puisse dire, c'est que tout réussi à Jerry Kern : le succès est rapide et confirmé dans le temps, son mariage est heureux, son amitié avec Hessler est fidèle et sans rivalité. Et pourtant bien des embûches croisent sa carrière dès ses débuts, mais toutes sont surmontées en un éclair. Par exemple, alors que le principal producteur de Broadway s'apprête enfin à acheter un spectacle au compositeur, celui-ci périt dans un paquebot coulé par les Allemands... par chance, dans la même scène, un chèque arrive et c'est un autre promoteur qui lance la carrière de Kern à New York : « The Show must go on ! » On le comprend aisément, en dehors de quelques minutes en seconde partie du métrage relativement plus graves qui évoque la mort ou l'œuvre inachevée, tout dans La Pluie Qui Chante est à la gloire de Jerome Kern. Mieux vaut donc prendre avec des pincettes les éléments rapportant le déroulement de sa vie.
Car l'intérêt principal, c'est la découverte d'une œuvre musicale assez pléthorique et plaisante pour voir se succéder des dizaines de numéros musicaux. On en enchaîne parfois une demi-douzaine, ce qui ne manque pas d'offrir un résultat vraiment déconcertant sur nos écrans plats ; pas si éloigné que ça des playlists modernes finalement. L'introduction se fait d'ailleurs en fanfare, puisqu'on assiste sans préambule ou presque à une représentation de Show Boat d'un bon quart d'heure avec notamment le puissant titre : Ol Man River. À l'instar de ce montage pour le moins étrange, toutes ces séquences ne sont pas toujours empreintes d'une grande audace visuelle, cependant la MGM n'a pas lésiné sur la beauté des costumes, des décors et le nombre d'artistes, parfois célèbres où en passe de le devenir comme Franck Sinatra lors du final, présents lors de ces séquences. C'est un bel hommage d'Hollywood à Broadway, après tout. Soulignons aussi la présence d'une scène avec Judy Garland chorégraphiée par Vincente Minelli, bientôt parents de Liza, comme un symbole du respect de toute une profession à l'un des leurs, puisque Kern décèdera d'une crise cardiaque avant le tournage.
Même s'il laissera de côté le spectateur parfaitement insensible aux comédies musicales, La Pluie Qui Chante se distingue néanmoins comme étant une petite curiosité en soi de par sa forme de best of, et a donc le mérite de faire connaître l'œuvre d'un compositeur qui aura largement marqué son époque.