The Greatest Story Ever Told (George Stevens, U.S.A, 1965, 3h17)

À peine quatre ans après la version d’une ‘’vie de Jésus’’ édulcorée à la démarche hollywoodienne aseptisée, le Christ revient sur les écrans dans une production démesurée (il existe une version de 4h20), plus sombre et aux airs baroques. Cette nouvelle ‘’vie de Jésus’’ cinématographique s’annonce en quelque sorte plus adulte, ou moderne.


Jésus y est aussi présenté comme plus mature, Max Von Sydow (35 ans lors du tournage) apporte une intensité forte a un personnage livré au doute et à l’incertitude. Doté d’un charisme nécessaire pour prêcher avec succès et mener fièrement ses disciples dans la Judée antique. C’est là ce qui manquait au Jésus de Jeffrey Hunter, bien trop lisse et un peu falot.


À l’instar de la version de Nicholas Ray, demeure une volonté de correspondre au mieux à l’imagerie populaire, en essayant d’ancrer le récit dans notre culture. Comme le visuel autour de la cène par exemple, qui est une reproduction du tableau de Leonard De Vinci. En ce sens, ‘’The Greatest Story Ever Told’’ n’évite pas l’écueil du récit teinté d’une hagiographie moderniste.


Sans nouvelles réflexions apportées autour de la notion mythique de l’histoire, déjà l’un des problèmes de ‘’King of Kings’’, ça semble toucher toutes les adaptations des années 1960 s’inspirant de la religion. Elles se reposent en effet sur les connaissances et la culture du public. Cela se retrouve dans ‘’The Bible : in the Beginning…’’ en 1966, qui reprenait également des visuels déjà existant, sans apporter plus à son récit.


S’impose dès lors une lecture influencée par le point de vu occidental, sans invitation à prendre du recul sur le sujet. Jésus est blanc, blond, aux yeux bleus. Des blancs, blonds, aux yeux bleus dans la Judée du Ier siècle, ça devait pourtant être assez rare. Donc de ce point de vu, le film se fiche d’être dans l’interprétation du mythe. Ce qui entre en contradiction avec la tentative de proposer de l’authenticité et un réalisme où le dimension mystique est amoindrie.


Le film de George Stevens se plante en refusant la nature mythique des Évangiles. L’ensemble apparaît bien trop sage, et vain. Le physique du Messie, et celui de ses apôtres, voir tous ceux qui les entoures, sont en ce sens irréaliste, et ne tiennent que du pur fantasme occidental. Rien que le fait de s’exprimer en anglais retire tout réalisme, biaisant l’axe ‘’vérité’’ que veut incarner le métrage.


Vision occidentalo-centrée, le cheveu long et la barbe de Jésus sont des héritages de la Grèce antique, définissant la sagesse des hommes. Les dramaturges, les philosophes, les hommes politiques, les stratèges militaires (qui étaient souvent tout ça à la fois) servent de modèles aux ‘’élites’’ de nos sociétés européennes. Par exemple, les premiers rois portaient les cheveux longs, le ‘’mund’’, dans lequel résidait supposément leurs forces. Ce qui n’est pas sans rappeler es naziréats, dont Samson est un exemple.


Dans ‘’The Greatest Story Ever Told’’ le Jésus européanisé est un peu étrange à observer. Il arpente les sols d’une Judée fantasmée, et pas totalement assumée. En effet, l’historicité est ici tout sauf une reconstitution, mais une interprétation d’un écrit religieux. Altérée par le prisme de nombreuses visions, qui commencent par une tradition orale que des scribes, bien des siècles après, ont mis à l’écrit.


Ces derniers, utilisés par des hommes de pouvoir pour mettre en place l’Église, sont interprétés par les conciles successifs, et les luttes vaticanes. Comment les lire et comment les comprendre, donnent naissance à des techniques théologiques, encore en vigueur de nos jours. Puis les années passent, sans le signe d’un retour du Messie, ni d’Apocalypse en vue. Mais à la fin du XIXème siècle est inventé le Cinéma.


Un peu plus d’un demi-siècle se passe, et en 1949 l’écrivain Fulton Oursler publie ‘’The Greatest Story Ever Told’’, qui de son propre aveu se veut ‘’aussi intéressant qu’un feuilleton dans un journal’’. Le bouquin passe ensuite entre les mains de cinq scénaristes, le résultat est validé par des producteurs, puis des cinéastes, à l’ombre de leur foi personnelle, réinterprètent le tout en dirigeant des comédiens, qui sont eux dans l’interprétation.


Les strates successives d’une adaptation sont révélatrices du produit fini. Dans la chaine de commande, à aucun moment une personne ne s’est écriée ‘’Dites… C’est pas un peu bizarre qu’il n’y ait que des occidentaux dans le casting ? C’est pas censé se dérouler au Moyen-Orient ?’’. Non, puisque ce qui nous est montré n’est que le résidu d’une succession d’interprétations, qui dévoile un Christ dénudé de la moindre once de réalisme.


Avec son budget estimé à 20 millions de $, une somme pharaonique pour l’époque, tout semble avoir été fait pour établir le chef d’œuvre ultime sur la vie du Christ. Comme le démontre les moyens employés, que ce soit le casting vertigineux, ou la présence de trois cinéastes derrière la caméra (David Lean et Jean Negulesco ayant réalisés quelques séquences), ou bien sûr les décors somptueux. Ceux crées pour l’occasion, comme les décors naturels.


Sur ce point, le tournage eu lieu intégralement aux États-Unis, principalement entre l’Utah, l’Arizona et la Californie. George Stevens voulait donner à son œuvre la dimension sauvage du continent américain, qui vient alors se juxtaposer sur l’imaginaire de la Judée antique. Le pays pays de Canaan devient ainsi littéralement celui de l’Amérique. La démarche d’américanisation du mythe est totale.


C’est ainsi à la lumière de la foi chrétienne, teintée d’American Dream, qu’est construit ‘’The Greatest Story Ever Told’’. C’est pourquoi, dans la tradition protestante de la nation, le côté ‘’magique’’ de la vie de Jésus est particulièrement gommé. La résurrection de Lazare, un bon point de repère, n’est pas montré. C’est un témoin qui la rapporte, persuadant la population que Jésus et bien l’élu. Pour les autorités hébreux et romaines c’est la goutte de sang qui fait déborder le calice. Achevant de les persuader de la dangerosité de l’illuminé en toge blanche.


Passé tout ça, il est vrai que visuellement c’est d’une grande beauté. À l’instar du message porté par le récit, basé sur les Evangiles qui sont factuellement des préceptes de paix, de pacifisme et d’amour, rependus par Jésus et les siens. L’histoire, convenue, avance ainsi sans trop de surprise, solidement construite autour des écrits, sans réinterprétations particulières.


À défaut, ‘’The Greatest Story ever Told’’ fustige une civilisation romaine décadente et un peuple hébreux divisé, ce qui autorise une réflexion sur l’aspect réactionnaire du métrage, et la crainte de voir arriver une nouvelle génération libertaire, qui en 1965 est de plus en plus présente dans la société américaine.


Trois ans après l’assassinat de John F. Kennedy à Dallas, la désillusion touche la jeunesse américaine, qui prend ses distances avec un establishment déconnecté des réalités sociales. Ce sont également les prémisses de la Guerre du Vietnam, sacrifiant toute une génération, quand en parallèle les mouvements hippies reprennent à leur compte l’image de Jésus, et son message d’amour et de paix.


La vision grandiose d’Hollywood sur les écrits bibliques apparaît soudain des plus désuète et qui plus est, avec le Péplum, touche à sa fin. Ce qui coïncide avec l’amorce dans la capitale du Cinéma d’une évolution, avec l’apparition de nouveaux cinéastes, bien plus inquiets par ce qu’il se passe dans le quotidien des gens du commun. Le public jeune, qui avait déserté les salles depuis une dizaine d’années, revient assister à ces œuvres qui leur parlent.


Le métrage de George Stevens sort en cette période pleine d’ébullition, où la société est traversée par des changements radicaux, comme l‘obtention des droits civiques pour les Afro-Américains par exemple. Un autre monde semble possible, et a porté de main. Ce qui laisse apparaître ‘’The Greatest Story Ever Told’’ comme une œuvre datée et réactionnaire, avec son Jésus Américain (ironiquement incarné par un acteur suédois), blond aux yeux bleus. Projection occidentalo-centré de l’entité divine.


Anachronique s’il en est, il manque au métrage une démarche artistique claire pour en faire une œuvre réellement digne d’intérêt. Même s’il se regarde sans déplaisir, la mise en scène est sobre, l’image est belle, appuyée par une photographie magnifique tout en clair/obscur, magnifiant certains passages, comme la Cène. N’hésitant jamais à faire appel à l’iconographie ancrée dans la culture populaire.


Par son manque d’audace, et d’une démarche concrète, le film est tout au plus un épique correct, un peu vide de sens. Apparaissant comme une tentative infructueuse à en rappeler aux racines chrétiennes de l’Amérique. Par le biais du message christique dans tout ce qu’il a de plus dogmatique, et conservateur. Ce qu’est au final cette œuvre, loin de la modernité fracassante qui se met en place dans une production Hollywoodienne en pleine restructuration.


-Stork._

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le 29 avr. 2020

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