- Cocteau, alors président du jury du festival de Cannes, décide de décerner la palme d'or à La Porte de l'enfer. Kinugasa, réalisateur et scénariste du film, est loin d'en être à son premier coup d'essai : il nous avait offert, en 1926, Une Page Folle, film expérimental qui se démarquait avec brio du cinéma japonais d'alors.
La caméra commence par nous faire voir en un travelling un emaki, soit un rouleau de peinture japonaise. On comprend vite que cet élément n'est pas que là pour nous présenter le contexte historique, mais surtout pour émettre un principe esthétique : le film reprendra autant ses couleurs pastels, qui ont tant plu à Jean Cocteau, que sa construction horizontale à l'intérieur des cadres aidée par une utilisation très fréquente du grand angle et d'une omniprésence des formes plastiques obliques.
Le film est coloré, c'est le moins qu'on puisse dire : tout ressort exagérément par le travail d'éclairage et la technique de l'Eastmancolor. Force est de constater que ce travail sur les couleurs est assez inégal : si la photographie arrive à rendre avec force la complexité chromatique des kimonos ou la beauté des rideaux transparents, on sent une volonté très clinquante de nous en mettre plein la vue, parfois à la limite de la surcharge visuelle. D'autant plus que ces couleurs, à de rares exceptions près (comme pour marquer l'opposition entre deux personnages ou deux clans), sont purement gratuites. Mais si l'on accepte que l'esthétique est là en grande partie pour la forme (et non pas pour transcender le récit), on pourra s'extasier devant certains plans d'une beauté rarement égalée dans un film des années 50.
La porte de l'enfer possède un rythme decrescendo : si l'on commence avec la frénésie guerrière, on atteindra petit à petit à un calme de la mise en scène, jusqu'à la dernière séquence à la fois contemplative et remplie de tension. Mais là où le bât blesse, c'est que le triangle amoureux de l'histoire est finalement assez convenu, avec un amour et un désir qui se transforme en folie et obsession pour le personnage principal. Seul le personnage du mari est assez original, car il ne respecte ni les codes du samouraï ni ceux de la virilité masculine.
Dès lors, La Porte de l'enfer se porte plus comme un manifeste esthétique, qui ne plaira pas à tout le monde, que comme un grand film de samouraï. La palme d'or semble donc avoir été décernée pour l'exotisme qui ressort du film sur un jury peu habitué au cinéma japonais.
PS : si le cinéma japonais vous intéresse, vous pouvez venir piocher dans ma liste https://www.senscritique.com/liste/Les_oublies_du_cinema_japonais/1704611