Excellent film.
Hier je me plaignais du manque d'érotisme dans le film "Mademoiselle" (Ah-ga-ssi) ou plutôt de la mise en scène maladroite pour y parvenir, avec des plans trop insistants, un montage hasardeux, un découpage grotesque (que même dans les porno, ils n'osent pas faire). Ici, le réalisateur, sans jamais montrer un quelconque acte sexuel, juste avec un plan séquence de plusieurs minutes en gros plan avec deux des acteurs principaux armés de bons dialogues, il parvient à créer de la tension, de l'érotisme, de l'humour, du drame. C'est assez dingue de réussir un tel exploit avec une approche aussi minimaliste, laissant à la fois peu de place pour les acteurs, mais en prenant son temps.
L'intrigue est vraiment bonne, de par ces personnages à peu près tous détestables. Même Baby Doll n'est pas tellement plus plaisante avec ses caprices de petite fille ; mais en même temps, tous les personnages ont une bonne raison d'être ce qu'ils sont : entre Archie qui est l'idiot du village, que tout le monde suppose cocu, Silva qui est l'étranger rejeté, les blacks qui sont traités comme des moins que rien. Forcément, ils peuvent être méchants envers le monde, envers les autres. Ce qui est bien, c'est que tout semble s'articuler tout seul, les personnages tirent plus profit d'une situation qu'il ne la crée, je pense surtout à Silva qui élabore son plan au fur et à mesure des opportunités, on le sent, et ça fonctionne super bien. D'ailleurs les rares moments où il décide de faire quelque chose, il n'a pas l'occasion de le faire (il dit qu'il obtiendra la signature de Archie aussi, mais il n'aura même pas l'occasion de lui faire signer le papier). Ce qui laisse supposer que la fin ouverte ne mènera pas à une conclusion heureuse pour ce couple en train de se former, il est fort probable que Baby Doll soit oubliée. Mais ce n'est pas grave, car toute cette affaire de coton aura été un prétexte pour la faire grandir, Baby Doll n'est plus, elle est devenue adulte.
Les dialogues sont très bons : on sent les manigances de chacun, les piques lancées à l'un ou l'autre, les tentatives de dominer l'autre, parfois avec succès (Sylva, Baby Doll), parfois non (Archie, Baby Doll). Certaines séquences reposent très lourdement sur ces répliques, malgré tout, on ressent de la tension, des conflits, des résolutions. Ça c'est de l'écriture ! Notons que c'est parfois complexe : Sylva veut comprendre, tourne autour du pot, revient à la charge, tourne à nouveau autour du pot, ... et tout ce la se fait naturellement, sans devenir inintelligible.
La mise en scène est posée : une caméra qui suit les personnages, leur tourne autour mais avec pertinence, qui se rapproche afin de mieux comprendre les tentatives de séduction de l'un ou l'autre. C'est très pertinent et sans effet maniériste vilain. Le plus simple est le mieux. La photographie est plaisante, avec de jolis contrastes, des décors bien trouvés et bien filmés (cette baraque qui en plus apporte une dimension expressionniste au film). Le montage est bien géré puisque l'auteur n'hésite pas à laisser tourner un plan sans jamais le couper, il laisse ainsi faire ses acteurs. Acteurs qui sont tous excellents d'ailleurs. J'ai une préférence pour Eli Wallach : beaucoup de gens l'ont découvert grâce aux films de Leone, c'est-à-dire dans un personnage crasseux et lâche ; ce rôle-ci, c'est l'exact opposé, un sicilien raffiné, qui sait ce qu'il veut, qui est rancunier comme pas possible mais aussi séducteur, charmant, manipulateur. Il a une telle présence à l'écran, c'est juste incroyable. En face de lui, la jeune Carroll Baker ne se laisse pas faire ; certes elle joue mal la pleureuse, et quand elle donne la réplique à Karl Malden, elle a tendance à surjouer un peu (comme lui surjoue aussi), mais quand elle se retrouve face à Eli, son jeu change, s'adapte, et elle délivre une performance plus dramatique, plus juste, plus touchante. On peut ainsi voir avec ce film qu'il se dégage une certaine énergie en fonction des acteurs qui se font face. Du coup les confrontations entre Eli et Karl sont assez épiques, car on sent que tout les oppose, ça renforce cette rivalité entre les deux personnages, car aucun ne cède, chacun veut garder sa propre énergie.
Bref, que voilà un grand film !
PS : Eli Wallach a déclaré qu'à l'époque du tournage c'était un film très osé mais qu'aujourd'hui (je ne sais de quand date l'interview mais j'ose supposer après l'an 2000), les gens se demandent pourquoi le film a fait couler tant d'encre.
Je ne suis pas d'accord, je trouve ce film toujours osé, après tout, il s'agit d'une enfant dans un corps de femme, et puis surtout, quelle audace que de film l'érotisme de cette manière, avec de la manipulation au travers des dialogues et une telle sobriété visuellement, on ne voit en effet rien de sexuel, tout au plus quelques tétons pointant au travers de la chemise de nuit de Carroll. Et puis les personnages n'ont pas recours à la violence, alors que Sylva semble bien 'vénère' en début de film, un tel traitement semble impossible aujourd'hui, on nous mettrait Liam Neeson dans le rôle du sicilien et il défoncerait tout et partirait avec la jeune enfant soit pour l'adopter soit pour l'épouser.