Han. Quelle baffe, j'en ai encore la joue écarlate. J'avais pourtant mis le DVD dans cette petite boite noire qui accompagne mes soirées, comme il m'arrive de le faire avec certaines galettes, sans grosse motivation, en faisant confiance à sa réputation. Il va sans dire que je fus inspiré puisque The Chase est un coup de coeur franc et massif que je ne suis pas prêt d'oublier. Arthur Penn livre avec cette pépite le parfait gimmick du film uppercut.
En effet, si The Chase s'impose au spectateur comme un direct cinglant, c'est parce que son réalisateur prend le temps de poser toute une galerie de personnages avant de les torturer avec sadisme jusqu'à un final d'une noirceur extrême. Un au-revoir déprimant en pleine phase avec la déchéance et le désespoir caractérisant une époque au pessimisme contagieux qui va jusqu'à gangrener la génération à venir. Penn ne ménage personne pour enliser une société américaine dans ses pires travers, le bougre sait y faire pour la rendre détestable. Des cadres moyens qui ne trouvent leur plaisir qu'en jouant les fauteurs de troubles lorsqu'ils sont imbibés d'alcool aux cinquantenaires richissimes qui tentent de corrompre tout ce qui bouge en passant par les adolescents attardés qui ne font que suivre l'exemple de leurs voisins et parents : seuls quelques braves sont à sauver.
Cette minorité est représentée par le pauvre shérif qui tente comme il peut de contenir les oies idiotes qui dévorent sa ville. Marlon Brando campe un Calder impérial, sa seule prestation permet à ce film singulier de côtoyer les cimes de l'élégance. On est immédiatement touché par tout ce qui peut lui arriver —on subit lorsqu'il se fait malmener, mais vraiment —, et c'est vraiment au moyen de ce traitement rudement efficace que The Chase conquiert les coeurs. Le spectateur est constamment impliqué dans l'histoire, en permanence désireux de savoir ce que vont devenir tous les pauvres bougres qui lui ont été présentés. Alors quand tout s'emballe, son palpitant ne demande pas son reste et s'affole, ses pupilles se dilatent pour savourer la descente au enfer promise dès le début.
Mais si The Chase est un film qui marque autant les esprits, c'est bien parce qu’Arthur Penn y réussit le tour de force de créer une symbiose totale entre tout un tas d'éléments disparates. La bande son est efficace, la photographie d'une finesse et d'une élégance remarquables et les acteurs réellement impliqués. En plus du génial Marlon Brando, tout le reste du casting assure comme jamais. Robert Redford, même si on le voit peu, trouve le ton juste, Jane Fonda est terriblement touchante et James Fox est parfaitement dans son rôle de fils surprotégé qui n'ose pas affronter une figure paternaliste envahissante et bien trop sure d'elle.
C'est d'ailleurs l'une des grandes thématiques du film, ce questionnement à propos de la filiation. De nombreux personnages sont tiraillés à ce propos, font-il ou ont-ils fait les bons choix avec leurs enfants ? Certains n'en ont pas et le regrettent, d'autres en ont et le regrettent presque aussi. Et quand on voit comme Penn envisage la prochaine génération, à travers ce groupe d'adolescents presque attardés, on se dit qu'il a la réponse à toutes ces questions !
The Chase est assurément de la trempe des films qui marquent votre rétine d'une empreinte bien profonde. Nul doute que j'en garderai en mémoire un souvenir très fort, à la hauteur de toute la palette de sentiments que Penn m'a fait éprouver pendant le visionnage. Entre rire parfois, réflexion souvent et encaissement silencieux pendant toute la fin, la séance fut intense et mémorable.
Quelques images de la mise à mort ici.