C’est en plein dans une période très prolifique pour le cinéaste, qui est parvenu à renouer avec le western et le succès avec La Chevauchée fantastique (1939), que John Ford réalise l’une de ses autres œuvres majeures : La Poursuite infernale.
Quelque part en Arizona, quatre frères élèvent du bétail au beau milieu de la nature. Non loin de là se trouve la ville de Tombstone, étrange bourgade où règne une atmosphère chaotique. Quand le plus jeune des quatre frères est retrouvé assassiné après avoir gardé le bétail pendant que les trois autres frères étaient en ville, l’aîné n’hésite pas à reprendre le poste de shérif de Tombstone, dont personne ne voulait. Là-bas, on boit à l’envi, on tire dans tous les sens, et on triche. D’abord motivé par la volonté de venger son frère, Wyatt Earp (incarné par Henry Fonda) va découvrir ce microcosme cacophonique et tenter de le cerner pour assumer son nouveau rôle de shérif. Comment pouvoir faire la loi là où il n’y en a pas ? C’est une des questions soulevées par La Poursuite infernale, où John Ford poursuit ses réflexions sur les origines de la civilisation et de la nation américaine.
A Tombstone, nom évocateur qui ferait passer cette ville pour un lieu où seule règne la mort, c’est œil pour œil, dent pour dent. Il n’y a pas de loi qui tienne, sinon la loi du Talion, avec la volonté de chacun de faire sa propre loi. La décision de Wyatt Earp de prendre le poste de shérif pose aussi question, quant à sa volonté première, qui est de punir ceux qui ont assassiné son frère, désir égoïste pour un poste supposé servir le plus grand nombre. Mais c’est bien dans l’évolution des motivations de Wyatt Earp, dans sa connaissance des citoyens de la ville, et dans ses actions, que se trouve le message principal du film.
A travers le parcours de Wyatt Earp, sa vision du monde et son influence sur la ville de Tombstone, La Poursuite infernale raconte cette période charnière entre le passage d’un monde sans lois vers un monde civilisé. John Ford le raconte d’ailleurs d’autres manières, avec ce double jeu de miroirs entre Wyatt Earp et Doc Holliday, et entre Chihuahua et Clementine. Earp est revenu de la nature pour rejoindre la ville, quand Holliday a fui la ville pour retourner en campagne. De même pour Clementine, la femme de la ville venue retrouver son fiancé en campagne, et Chihuahua, jeune femme turbulente qui ne rêve que de partir. Tous ces personnages, aux traits de caractère assez différents, trouvent en ce lieu un point de convergence, qui les fait mieux se retrouver, ou s’opposer.
Chez John Ford, la nature n’est jamais loin. Toujours bien basé à Monument Valley, le cinéaste crée de sublimes plans extérieurs, soulignant cette omniprésence de la nature et, surtout, son gigantisme, afin, comme il le faisait déjà dans La Chevauchée fantastique, de mettre l’humain à l’échelle dans ces vastes espaces. On construit des villes, des églises dans lesquelles on danse alors que les murs et les toits ne sont même pas encore dressés, mais la nature continue d’entourer l’humanité, et elle demeure surtout souveraine en son for intérieur.
C’est aussi un moyen, pour le cinéaste, de se raccrocher à la réalité, grâce à ces paysages reconnaissables bien au-delà des frontières des Etats-Unis. Chose qu’il fait également à travers l’histoire qu’il raconte, convoquant des personnages réels, et s’inspirant d’un véritable fait historique. Mais ce qui fait la beauté de cette Poursuite infernale, ce n’est pas juste son histoire, c’est la beauté, la pureté et le sens des images, particulièrement forts ici. Les choix de lumière et de cadrage sont toujours judicieux, tout passe par l’image, et John Ford dissémine un peu de perfection dans chaque plan.
My Darling Clementine devint pour le public français La Poursuite infernale, sûrement pour mettre en avant le désir de vengeance des frères Earp et promettre un western sanglant et nerveux. Là n’était pas le but de John Ford, qui vient une nouvelle fois raconter un chapitre de la naissance de la nation américaine, avec une capacité peu commune à faire parler les images, à exprimer le langage cinématographique le plus pur, sans jamais déborder. Une oeuvre magnifique, sur tous les plans.
Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art