Le film de Patricia Mazuy, souvent décrit comme une tentative audacieuse de sonder les complexités d’une amitié interclasse, laisse une impression mitigée. Si l’idée centrale – la rencontre entre deux femmes issues de milieux opposés – recèle un potentiel dramatique indéniable, son exécution narrative semble manquer de profondeur. La relation entre Mina (Hafsia Herzi) et Alma (Isabelle Huppert) reste en surface, jamais pleinement explorée. Contrairement à des œuvres comme Les Innocents de Bertolucci, où les rapports de pouvoir et de classe sont disséqués avec une précision chirurgicale, Mazuy effleure les enjeux sans réellement les incarner. On ne comprend pas pourquoi Mina s’autocensure ou s’empêche de s’investir dans cette amitié, et le film échoue à articuler de façon convaincante les forces sociologiques qui pourraient expliquer ce blocage. Ce choix affaiblit le propos global, laissant le spectateur dans un flou narratif frustrant.


Sur le plan visuel, Mazuy s’appuie sur une mise en scène sobre, presque minimaliste, qui rappelle par instants les travaux de réalisateurs comme Chantal Akerman dans Jeanne Dielman. Certaines scènes, comme celle d’Isabelle Huppert dégustant une pâtisserie dans sa cuisine, brillent par leur épure et leur capacité à transmettre une vacuité existentielle. Ce moment de silence contemplatif, sublimé par le travail du directeur de la photographie, évoque par sa composition la peinture hollandaise, en particulier les intérieurs de Vermeer, où chaque objet semble chargé de significations tacites. Cependant, ces éclairs d’inspiration sont trop rares. Le cadrage et la durée des plans, bien que corrects, peinent à générer une véritable tension dramatique, particulièrement dans les scènes où Mina est confrontée à Yacine. Là où des cinéastes comme Michael Haneke (Caché) ou Jacques Audiard (Un prophète) parviennent à insuffler un malaise palpable grâce à une mise en scène incisive, Mazuy reste étrangement timide, empêchant l’intrigue de gagner en intensité.


Le jeu des acteurs reflète cette même disparité. Isabelle Huppert livre une performance remarquable, pleine de nuances, parvenant à transmettre à travers de simples regards toute l’ambiguïté de son personnage. Son interprétation élève certaines scènes, notamment celle de la révélation de la trahison, où son visage trahit une douleur retenue et presque imperceptible. Cependant, Hafsia Herzi déçoit, et il est difficile de déterminer si cela tient à son jeu ou à la faiblesse d’un personnage mal écrit. Mina, censée être au cœur du récit, apparaît souvent opaque et dénuée de véritable arc émotionnel. Les seconds rôles, quant à eux, oscillent entre le cliché et l’oubliable, à l’exception notable du mari d’Alma, incarné avec une froideur d'hiver québécois. Comparé à des films comme Les Noces Rebelles de Sam Mendes, où les relations conjugales complexes enrichissent l'intrigue principale, Mazuy laisse entrevoir un potentiel inexploité dans les interactions entre Alma et son mari.


La prisonnière de Bordeaux souffre d’un traitement trop fragmentaire pour réellement convaincre. Si certaines scènes isolées témoignent d’un savoir-faire certain, l’ensemble manque de cohérence et d’ampleur, ne parvenant ni à engager émotionnellement, ni à proposer une réflexion sociologique aboutie. Patricia Mazuy semble hésiter entre le portrait psychologique et la critique sociale, sans jamais choisir pleinement son camp. Alors que des cinéastes comme Céline Sciamma (Portrait de la jeune fille en feu) ou Abdellatif Kechiche (La Vie d’Adèle) réussissent à faire cohabiter intimement le personnel et le politique, Mazuy livre ici une œuvre qui, malgré ses intentions louables, ne parvient pas à s’élever au-dessus de ses maladresses narratives. Le résultat est une proposition intéressante, mais inaboutie.

Carrington
4
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le 9 janv. 2025

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