Ah la beauté d’une tablée garnie, plats et couverts accueillants, la lueur de l’âtre envahissant bois et pierres dans des teintes rassurantes, l’ambre des falots répondant à l’indigo de la nuit, le brun des charpentes au rose des napperons et autres robes, chacun s’affairant autour d’une marmite fumante. Finalement rares sont ceux qui savent vraiment capter cette chaleur, celle de la première cuillère de soupe engloutie par Boucle d’or, celle d’un nid rassurant au milieu d’une immensité hostile. Et devant l’indéniable efficacité dépeinte dans ses scènes de genre, il est évident que Ford maîtrise le sujet à merveille. Il est évident aussi que comme aucun autre il capture ces décors sans fin, infinité vicieuse de pierres et de plaines bâties à l’aulne de titans; et c’est peut être d’autant plus époustouflant que c’est constamment entrecoupé de scènes calfeutrées, immiscées au coin d’une flamme vitale.
Cet équilibre instable entre danger menaçant et abri réconfortant régit absolument tout se qui s’offre à l’objectif, des cabanes de bois et de cailloux perdues dans l’immensité jaune comme des coques de noix au milieu d’un éternel océan aux personnages errant au hasard entre héros et foutus salopards, rien, ici, ne suit de logique vraiment déterminée par un quelconque manichéisme. Tout est imprévisible, indiscernable, et il est fermement recommandé ici de dormir du sommeil du chat.
Au milieu de ça, il y a John Wayne, vestige d’une époque, olala lointaine, où on n’oserait pas une seconde discuter le respect dû au personnage principal. C’est une démarche, une attitude, un sourire en coin, une nonchalance terrible, celle d’une coulée de lave sinuant les lèvres du volcan, déterminée, propre à ces éléments qui finissent toujours par arriver à leurs fins. Funambule indécis entre protecteur vaillant et aliéné cruel, ours tout à la fois capable de la plus aimable des bourrades et du plus hargneux des scalpes, il est à lui seul l’image de l’ensemble de l’escapade, celle d’une poignée d’hommes jetée dans les mains joueuses d’une vie blagueuse.
Le souffle tragique résonne à chaque canyon comme un glas ronronnant, c’est, après un plat chaud, ce départ en douceur vers un horizon de désolation, vers ce Styx de sable qui semble prendre dans ses courants toute créature errant sur ses rives. Mais comme Ford laisse à chaque désert mortel son intérieur revigorant, à chaque trogne de briguant sa face raisonnable, il offre aussi à cette Odyssée dramatique les atours d’une aventure épique et chevaleresque, une épopée sur la trace d’une princesse prisonnière d’un donjon de sable gardé par un dragon apparaissant sous la forme d’une file de cavaliers à plumes, ombres indistinctes ondulant comme autant de vertèbres déterminées vers une proie infortunée. C’est un aller-retour de plus, de ces aller-retours qui on forgé tant de héros en taillant leur âme à coups d’embruns, mais Ethan n’est pas de ces types qui partent pour se former, pour évoluer d’une quelconque manière, et il y a, jusque dans ce guerrier sans peur, la trace d’une résignation désarmée, celle d’un type acclamée, au milieu de l’écran, encadré par la porte d’un foyer accueillant mais seul, dehors, voûté sous un ciel éternel.
J’ai découvert ce réalisateur sur ce site, par l’intermédiaire de ses plus fervents défenseurs en ces lieux (des gens fameux), je n’ose donc en dire davantage même si des trois films que j’ai vu, je peux tirer des ressemblances évidentes dans cette virtuosité à confronter la douceur du nid au harangues des bourrasque du monde sauvage, que cela soit dans le scintillement d’un ruisseau (L’Homme tranquille) ou dans le gazouillement d’un oiseau (Qu’elle était verte ma vallée), et je m’arrêterai là parce que j’en ai pas vu d’autre. Mais ici, sur ces terres de démesure, là où les caillasses effleurent le ciel, c’est une réalisation tout bonnement implacable, une mise en scène de la tension qui défie toute comparaison, et de la taille de personnages qui laisse des empreintes dans les mémoires. C’est immense, sans fin, beau, peint de main de maître et accompagné par un Max Steiner qui n’a jamais trouvé son pareil pour orchestrer des mélodie tout aussi épiques que dramatiques. C’est un chef d’oeuvre, pour sûr.