En hommage à John Ford, mort il y a 45 ans jour pour jour (le 31 août 1973) ; à jamais l'un des plus grands...
https://www.youtube.com/watch?v=20jAtWu4CxM
What makes a man to wander ?
What makes a man to roam ?
What makes a man leave bed and board
And turn his back on home ?
Ride away, ride away, ride away
La Prisonnière du désert, ou plutôt The Searchers, est d’abord un film sur le renoncement et la solitude. John Wayne, sublime cowboy cynique, oncle aigri et pas tendre avec son neveu, semble arriver de nulle part et n’avoir aucune attache. On ne sait pas grand-chose de lui, de ses racines, de sa famille, sinon de celle qui se fera décimer dès les premières minutes. Un vieux loup solitaire qui « cherchera », plus que sa nièce, une forme de rédemption insoupçonnée tout au long de ce long voyage de plusieurs années.
Il « tourne le dos à son foyer », au sens premier d’abord, mais aussi et surtout au sens métaphorique, puisqu’il questionnera petit à petit ses idéaux, ses préjugés, ses propres valeurs qui lui semblaient souveraines. En cela John Ford accouche d’un western on ne peut plus moderne dans son propos et dans l’évolution psychologique de son protagoniste. Ethan devient l’allégorie de la figure très codifiée du cowboy, dont la progression sera à l’image de celle de la filmographie même de Ford face aux codes du western.
Some men they search for Indians,
For humpback buffalo.
And even when they've found them,
They move on lonesome slow.
Ride away, ride away, ride away
Des Indiens et des bisons. Quand on remonte aux origines de la chevauchée fordienne dans les terres de l’ouest, jusqu’à À l’assaut du boulevard ou au Cheval de fer, les premières images qui viennent à l’esprit sont des rassemblements de troupeaux de bisons et des personnages en train de combattre des hordes d’Indiens. Ces deux éléments, loin d’être anodins dans la chanson, ont été longtemps les symboles du western américain ; le bétail ramenant le cowboy à ses racines de fermier, et les Indiens sanguinaires rappelant au monde son rôle de justicier du désert.
On peut reprocher à Ford, comme à beaucoup d’autres de son époque, le manichéisme qui voulait que le héros fût toujours l’homme blanc défendant la veuve et l’orphelin, face aux sauvages non-civilisés assoiffés de sang. Ce qu’il est interdit de reprocher au cinéaste irlandais, par contre, c’est de s’être enfermé dans ce dualisme. Plus les années passent, au fur et à mesure que les films du genre s’accumulent, plus John Ford nuance son propos : il exacerbe les contradictions et la noirceur des prétendus héros, et a contrario souligne la certaine pureté d’âme et l’honneur de ces méconnus « peaux-rouge ». Et finalement – ironie suprême des plus significatrices –, son dernier western, Les Cheyennes, prendra le parti d’une tribu persécutée tout en dénonçant les massacres injustifiés commis par l’armée américaine. Une sorte d’ultime retournement de veste, d’ultime rédemption pour le plus « classiciste » des réalisateurs du genre.
Ethan, dans La Prisonnière du désert, est à l’image de son créateur : un homme enraciné dans des codes que les années vont déconstruire, pour finalement, sans pour autant crier un amour insensé aux Indiens, leur accorder indéniablement respect et humanité. La force des westerns tardifs de Ford, et notamment face aux westerns spaghettis qui suivront, est dans cette capacité à proposer des personnages à la psychologie complexe. Là où Clint Eastwood chez Leone, aussi charismatique soit-il, s’en va d’un film sans rien avoir tiré de particulièrement profond de son aventure, John Wayne, chez John Ford, ne sera plus jamais le même une fois le rideau tombé.
The snow is deep and oh, so white,
The winds they howl and moan.
Fire cooks a man his buffalo meat
But his lonely heart won't warm.
Ride away, ride away, ride away
Si tout au long du film, le cœur d’Ethan semble glacial, entendre résonner ces paroles en contemplant le légendaire plan final octroie à ces vers une saveur particulière. À la fin, Ethan semble avoir retrouvé la flamme que l’âge avait emprisonnée, sinon éteinte pour de bon. Mais paradoxalement, c’est en bravant le vent, la neige et les nuits froides du désert que les braises de son humanité se seront ranimées.
The Searchers est un voyage initiatique qui confronte, à la manière d’un récit mythologique, l’homme et la nature. Traverser les sublimes forêts enneigées, braver la chaleur écrasante des plaines sont autant de péripéties qui donnent lieu, déjà, à des visuels à couper le souffle, mais qui participent aussi à l’épreuve introspective qu’Ethan doit surmonter. Les éléments sont des obstacles à la mesure de la profondeur de ses préjugés : survivre des années à ces paysages hostiles est une manière d’illustrer la lente et difficile remise en questions qu’il accomplit malgré lui.
A man will search his heart and soul
Go searchin' way out there.
His peace of mind he knows he'll find,
But where, oh Lord, Lord where ?
Ride away, ride away, ride away
Si une telle quête l’obsède, c’est d’abord par haine des Indiens, davantage que pour sauver sa nièce qui semble un simple prétexte à la légitimation de sa croisade. Son aveuglement prendra fin grâce à la jeune fille, qui métamorphosera sa rage en une résignation apaisée. D’abord aussi furieux que le vent qui griffe le visage, Ethan termine son périple avec la légèreté d’âme d’un flocon de neige, qui vient recouvrir l’homme qu’il fut d’un manteau nouveau, plus blanc, plus pur.
Si La Prisonnière du désert est pour beaucoup le plus grand chef-d’œuvre de John Ford, et incontestablement un pilier du western et du cinéma en général, c’est qu’il cristallise tout l’humanisme de son réalisateur en un seul personnage, incarné par le seul qui ait jamais pu ne faire qu’un avec Ethan (et qui donnera ce prénom à son fils, d’ailleurs) : John Wayne, le bourru, le violent, le traditionaliste, devenu l’espace d’un film, et pour l’éternité, John Wayne le révolté, le passionné, le magnifique.
Une œuvre qui donne envie de partir à cheval, et chevaucher au loin, pour trouver la paix qu’aucun Seigneur ne peut offrir, parce qu’elle est l’humanité qui brûle en chacun de nous, et qu’il faut mériter pour pouvoir espérer l’embrasser. Et tourner le dos encore, une nouvelle fois, et repartir vers l'horizon, encore plus loin.