La prisonnière du désert brasse tous les grands thèmes du western chers à John Ford : sentimentalisme discret, attachement familial, racisme, Blancs captifs (sujet que Ford traitera à nouveau dans les Deux cavaliers), guerres indiennes avec leur cortège de massacres de part et d'autre... mais Ford s'est aussi attaché à son héros Ethan Edwards, cet homme seul, condamné à errer sans famille, et qui va devenir dur, raciste et haineux, symbole de l'opiniâtreté qui va pendant plus de 10 ans chercher inlassablement sa nièce.
Face à cet homme monolithique magnifiquement incarné par John Wayne, vont se dresser les Indiens, et notamment le chef Scar, incarné par Henry Brandon avec une fierté impériale. Ford montre à travers cet antagonisme la folie des guerres indiennes qui en temps normal aurait permis à ces 2 hommes de lier une profonde amitié.
Dès les premières images, dès que la porte s'ouvre sur le fabuleux paysage de Monument Valley, on sent que ce film ne sera pas un western comme les autres, c'est une oeuvre majeure de Ford et du genre western en général, où le réalisateur qui est parfois passé injustement pour un cinéaste belliciste et parfois même raciste, livre au contraire la palette de sa tendresse et de sa sensibilité, c'est le message d'un réalisateur qui n'a pas attendu que ça devienne une mode pour dénoncer l'horreur des guerres indiennes et l'abjection du génocide par l'armée et les profiteurs, ce qui reste encore aujourd'hui la grande honte de l'Amérique. Sauf que Ford montre ça avec poésie, tolérance et sincérité sur les accents lyriques et typés de la musique de Max Steiner.
Je reviens sur John Wayne dont on a souvent raillé le peu de nuances dans son jeu d'acteur, au contraire ici, il montre avec sa vigueur habituelle un mélange de chaleur et de haine, faisant passer toute une gamme de sentiments complexes et délicats, Ethan Edwards étant l'une des figures les plus complexes et les plus intéressantes de la comédie humaine fordienne ; le dernier plan avec la porte qui se referme sur lui, homme solitaire, est à ce titre admirable, faisant écho aux images du début du film. La Prisonnière du désert est un western pessimiste mais généreux qui ne connut pas le succès à sa sortie, il fallut attendre plusieurs années avant qu'il soit enfin reconnu comme l'un des meilleurs de John Ford, aujourd'hui, c'est un chef-d'oeuvre indiscutable.