Raymond Devos, humoriste-conteur de sketches débonnaires et cocasses où la dérision et l'absurde sont génialement développés, a toujours rêvé de faire du cinéma. Anna Karina se souvient de sa joie ("il était heureux comme un enfant" dit-elle) lorsque Godard lui propose une scène dans l'excellent Pierrot Le Fou en 1965.
Au début des années 1970, la phrase "la raison du plus fou est toujours meilleure", tirée de l'un de ses sketches, offre à Devos l'opportunité d'imaginer un scénario de long-métrage qui charme le producteur Alain Poiré. Et si Pierre Cosson est finalement appelé à la rescousse pour restructurer le script, les dialogues restent un travail consciencieusement développé par l'humoriste qui se donne à cœur joie dans le maniement des mots qu'il maîtrise à merveille.
Surveillant d'une maison de repos, Raymond emprunte la voiture de la directrice de l'établissement pour emmener deux jeunes pensionnaires voir la mer. À bord d'un camion-citerne volé, la directrice et son mari coursent les fugueurs...
Road-movie bucolique traversé de sketches propre à l'univers de Devos, La Raison Du Plus Fou est mis en scène par le documentariste François Reichenbach, pas vraiment habitué à diriger des comédiens. Heureusement, ces derniers traversant l’œuvre ont une telle renommée qu'ils n'ont pas, pour la plupart d'entre eux, à être guidés par un réalisateur. De Lino Ventura à Jean Carmet, en passant par Pierre Richard, Yves Robert, Paul Préboist, Roger Hanin, Pierre Tornade, Robert Dalban ou encore l'implacable Alice Sapritch, c'est un défilé de vedettes qui hantent le métrage aux côtés de révélations telles que Marthe Keller et Paula Moore (jeune musicienne hippie qui a collaboré avec Jimi Hendrix et sortira ensuite plusieurs albums sous le pseudonyme de BirdPaula). Préfigurant ainsi la mode des innombrables caméos populaires, cette cascade de stars reste amusante à l'écran sans pour autant révolutionner un script plus ou moins décousu. Car l'essentiel, ici, sont les mots de Devos. Un régal de non-sens comme avec cette scène (peut-être la meilleure du film) où un restaurateur incarné par l'irascible Julien Guiomar refuse de servir ses clients à l'heure des repas puisqu'il est lui-même en train de manger. Des sketches qui jaillissent parfois abruptement et qui gâchent malheureusement le plaisir de se laisser absorber par l'absurde pertinence des monologues de son auteur.
La Raison Du Plus Fou fut par ailleurs un four autant critique que public lors de sa sortie en salles et guérit à jamais Raymond Devos de sa soif de cinéma puisqu'il s'agit de son dernier rôle pour le grand écran. L'extraordinaire homme de scène qu'il était continua sa carrière dans les salles de spectacles jusqu'à sa mort en 2006.