Bogie et Katie sont sur un bateau...
"L'odyssée de l'African Queen" est un film plutôt atypique dans les carrières respectives d'Humphrey Bogart et John Huston. Tourné en Afrique Centrale, il nous raconte la rencontre improbable entre un marin bourru et une missionnaire coincée, sur fond de première guerre mondiale. Prise d'un élan de patriotisme, mais surtout déterminée à venger la mort de son frère, la vieille fille quadragénaire va convaincre le coursier canadien de descendre les rapides du fleuve africain pour torpiller un bateau allemand situé sur un lac voisin (ben voyons !).
Si le scénario est particulièrement ridicule, ce long métrage est intéressant pour plusieurs raisons. Tout d'abord, il nous permet de voir Humphrey Bogart dans un rôle éloigné de ses personnages habituels : Charlie Allnut est en effet un bonhomme sale, mal rasé et alcoolique qui se fout royalement de toutes ces histoires de guerre bien éloignées de son quotidien. Le capitaine de l'African Queen est un planqué, et s'il peut continuer à vivre en dilettante sur son vieux rafiot pendant que le conflit se déroule en Europe, ça ne l'empêchera pas de dormir. "Bogie" obtint un Oscar aux détriments de Marlon Brando et Montgomery Clift pour ce rôle d'antihéros, et si personne ne remet en cause son talent, beaucoup de cinéphiles trouvent aujourd'hui encore que ce n'était pas son meilleur film, loin s'en faut.
La deuxième raison qui m'a poussé à regarder "The African Queen", c'est que son tournage chaotique inspira Clint Eastwood pour "Chasseur blanc, cœur noir" : John Huston y est décrit comme un cinéaste plus intéressé par la chasse à l'éléphant que par la réalisation de son film, et si la véracité de cette théorie reste à démontrer, il est tout de même vivement conseillé de voir les deux films successivement pour avoir un aperçu des conditions de tournage.
A part cela, "L'odyssée de l'African Queen" est un film relativement banal : les 2 protagonistes sont sur leur bateau pendant 80% de l'intrigue, et on assiste donc médusés à une sorte de "huis-clos en plein air". L'exercice de style est amusant au début, mais il finit par lasser, notamment lors de l'interminable passage dans les marécages. Globalement, le couple formé par Humphrey Bogart et Katharine Hepburn manque d'alchimie, et hormis leur scène de dispute, on n'a pas grand-chose à se mettre sous la dent. Que dire en outre de ce long moment de solitude pour le spectateur, lorsque "Bogie" imite singes et hippopotames de manière bien lourdingue ? Si Huston avait voulu casser un mythe, il ne s'y serait pas pris autrement...
Mais le pire dans ce long métrage, ce sont toutes ces scènes aux relents colonialistes qui laissent un goût plus qu'amer dans la bouche. La scène d'introduction où les indigènes sont incapables d'articuler le moindre mot dans une église bondée est dérangeante, et il faudra m'expliquer l'intérêt pour John Huston de montrer des villageois se ruer comme des chiens sur un mégot de cigare. Hergé, sors de ce corps !
Vous l'aurez compris, ce film d'aventure teinté de romance est une œuvre plutôt mineure qui vaut avant tout pour ses décors africains et pour la performance de Bogart. Le reste, on l'oubliera sans peine...