Une rumeur, et l'homme de la rue meurt.
On le répète à longueur de chefs-d'œuvre, ou tout simplement d'œuvres de grands maîtres: les écrins du passé nous éclairent plus surement sur notre présent que bien des tentatives contemporaines vaines, fussent-elles sous la forme d'articles de presse, d'essais de chercheurs ou de débats radio ou télé.
Ainsi, voudriez-vous comprendre la crise présente, les mécanismes bancaires, les enjeux de réserves ou fonds propres des établissements de prêts, comment se décident ces mêmes prêts en temps de crise, l'influence de la rumeur ?
Ruez-vous immédiatement sur la ruée.
Et ne craignez pas un pensum, c'est au contraire simple, brillant, enlevé, limpide !
En plus de tout comprendre, vous aurez également une leçon de cinéma. Comme le rappelait Raisin_ver dans son excellente critique du même film, tout ce qui fera la grandeur de Capra est là, cette ruée annonce les autres perles à venir.
Capra travaille ici pour la première fois avec un nouveau partenaire scénariste, Robert Riskin,, avec qui ils imagineront nombre de moments inoubliables: "Lady for a day", "New-York Miami", "Broadway Bill", "L'extravagant Mr Deeds" ou "Horizons perdus".
C'est dire si nous sommes ici devant un moment fort de la filmographie de l'ami Frank.
Alors oui, on pourra reprocher au film ses épanchements humanistes parfois peu crédibles. Un optimisme, une foi en l'homme un peu naïve. Capra, quoi !
Que dire en effet du portrait d'un directeur de banque basant toute son activité sur la confiance, non pas des marchés ou des courbes de statistique, mais bien sur la confiance envers les gens qui travaillent autour de lui, des employés jusqu'aux petits entrepreneurs, ou les gens dans le besoin chez qui il veut investir (plutôt que de capitaliser et garder, en temps de crise... ça résonne bien à nos oreilles actuelles, ça non ?).
On peut tout simplement imaginer que ce genre de personnage existait peut-être, sans doute, encore en 1932 et qu'il n'a été progressivement éradiqué de la vie professionnelle par ses collègues cyniques qu'au fils des décennies suivantes (aaahh, les membres du conseil d'administration: veules, moutonniers, cupides... parfaits !).
Et si le dénouement peut sembler comme souvent chez Capra un brin léger (l'homme de confiance qui rameute tous les amis de longues dates du banquier en difficulté), c'est toujours avec cet allant, cette fougue, ce transport de l'âme communicatif qui nous permet d'atteindre le générique de fin meilleur que ce que nous étions au moment de celui du début.
Cummings...euh, cerise sur le gâteau, ce fut aussi pour moi la joie ineffable de découvrir le minois matois de Constance Cummings qui, affublée d'une coiffure crantée défiant les lois du bon goût, parvient à dégager une incandescence qui contredit les lois de la physique la plus élémentaire.
(Je crois que "cumming" a un double sens en anglais. Avec constance, alors)
Bref, je ne comprends même pas que vous soyez arrivé jusque là. Ruez-vous !