Au sein d'une histoire qui nous semble, vu d'aujourd'hui, pas toujours cohérente ou tout au moins fragmentaire (un commentaire que l'on peut d'ailleurs faire à propos de la plupart des scénarios de Chaplin), nous retrouvons avec "la Ruée Vers l'Or" le "Petit Homme" (le premier "homme sans nom" du Cinéma...) en parangon hilarant de ténacité et d'intégrité face à la violence ininterrompue du monde : violence des éléments dans cet Alaska glacial, violence des hommes dévorés par la fièvre de l'or, et violence des sentiments en général, exprimés ici avec une crudité liée à la satisfaction primitive des besoins élémentaires (la faim, le désir, la haine..).


Mais le rire que provoque Chaplin n'est jamais "contre" les autres, caricaturés, ridiculisés, pris de haut, mais bien à ses propres dépends, et bien qu'il semble triompher à la fin, ce n'est qu'au terme d'une odyssée éprouvante qui a fait de lui la victime permanente des forces de la Nature et de la société. En cela, cette "Ruée vers l'Or", si drôle et si émouvante par instant, recèle une noirceur terrible derrière l'indéniable affirmation du triomphe de la vie symbolisée par "le petit homme"...


On sait tous - et on les retrouve à chaque fois qu'on y revient - qu'il y a dans "La Ruée vers l'Or" trois ou quatre scènes qui figurent parmi les plus fortes et les plus émouvantes que l'on puisse voir au cinéma, des scènes cent fois copiées depuis certes - sauf celle de "la danse des petits pains", qui ne peut appartenir éternellement qu'au grand "Charlot" -, mais qui ont ici la justesse et la raideur inimitables de l'époque "primitive" du cinéma.


On sent ici un Art qui s'invente, avec ses percées narratives et techniques, avec ses éclairs d'intuition quant à ce que sera le langage cinématographique,… mais on sent surtout qu'il y a aussi dans ce récit terrible des épreuves rencontrées par les prospecteurs d'or en Alaska une vraie contemporanéité pour Chaplin : ce qui se joue devant nos yeux, ce n'est pas un récit "historique", mais c'est à une fable fondamentale sur la survie et aussi un quasi-témoignage sur la dureté du monde au début du XXème siècle, heureusement illuminé par cet humour paradoxal, presque "cosmique" qui est la marque du génie de Chaplin.


[Critique écrite en 2021, à partir de notes prises en 1987, en 2003 et 2009]

EricDebarnot
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Mes 100 réalisateurs préférés [Liste en construction]

Créée

le 19 mars 2021

Critique lue 211 fois

12 j'aime

Eric BBYoda

Écrit par

Critique lue 211 fois

12

D'autres avis sur La Ruée vers l'or

La Ruée vers l'or
Sergent_Pepper
9

After the gold crush.

La longue file des aspirants à la fortune qui serpente dans la glace en ouverture du film semble à bien des égards figuer, a posteriori, celle des foules qui se pressent à la projection du prodige...

le 19 févr. 2015

69 j'aime

10

La Ruée vers l'or
blig
9

Charlie qui claudique

Il claudique Charlie, Charlot, le vagabond solitaire sans-le-sou en équilibre précaire sur la corniche des montagnes enneigées d'Alaska, mais ne tombe pas. Heureux sont les insouciants, les...

Par

le 2 déc. 2014

40 j'aime

10

La Ruée vers l'or
Docteur_Jivago
10

L’ordre qui trépasse

Je n'ai jamais vu quelqu'un aussi bien mêler la tragédie et la comédie que Charlie Chaplin, et à mon sens, La Ruée vers l'Or est son sommet, alors qu'il s'inspire d'une histoire vraie, celle d'une...

le 1 avr. 2014

29 j'aime

3

Du même critique

Les Misérables
EricDebarnot
7

Lâcheté et mensonges

Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...

le 29 nov. 2019

205 j'aime

152

1917
EricDebarnot
5

Le travelling de Kapo (slight return), et autres considérations...

Il y a longtemps que les questions morales liées à la pratique de l'Art Cinématographique, chères à Bazin ou à Rivette, ont été passées par pertes et profits par l'industrie du divertissement qui...

le 15 janv. 2020

191 j'aime

115

Je veux juste en finir
EricDebarnot
9

Scènes de la Vie Familiale

Cette chronique est basée sur ma propre interprétation du film de Charlie Kaufman, il est recommandé de ne pas la lire avant d'avoir vu le film, pour laisser à votre imagination et votre logique la...

le 15 sept. 2020

190 j'aime

25