... But I never knew what it was until all this happened."
Il aura fallu un film très académique — sans connotation péjorative — et très intimiste de la part de William Wyler, seulement deux ans après le péplum XXL Ben-Hur et un renversement assez monumental de style, pour me réconcilier avec le format de l'adaptation cinématographique d'une pièce de théâtre américaine. Ils sont rares les mélodrames de cette nature, enfermés dans un carcan formel inhérent au respect de différentes contraintes (l'unité de lieu notamment), un peu figés dans les considérations morales de leur époque (en l'occurrence sur les relations homosexuelles, qui fournit très indirectement des signaux à caractère documentaire sur l'état d'esprit de la fin des années 50), qui parviennent à trouver un chemin et se faufiler au travers de ma carapace.
The Children's Hour semble s'engager sur un sentier assez balisé, comme prévisible, mais il bifurquera dans un dernier temps au point de scinder le film en deux entités presque indépendantes. Il y a tout d'abord la description du tissu social qui permettra l'apparition de la rumeur éponyme, option mensonge d'enfant : le cadre est celui d'une institution pour jeunes filles dirigée par deux amies interprétées par Audrey Hepburn et Shirley MacLaine, toutes deux excellentes. Le scénario s'intéresse aux conditions qui poussent une enfant à mentir, et développe assez bien le petit réseau de coercition qui se crée autour de cette fille (la définition de la peste) qui agit principalement dans une logique de vengeance suite à une engueulade. Elle implique une autre fille de son âge dans le mensonge, au creux d'une dynamique de chantage, et non sans une certaine insistance (tant dans le film qu'à l'extérieur de la diégèse) elle parvient à mêler une personne adulte dans le scandale. Le scandale étant : les deux directrices seraient amantes en secret, même si ce n'est jamais clairement explicité (code Hays oblige), ce qui constitue un faux-pas moral non-négligeable dans la société américaine du début des années 60.
La partie charnière qui suit, avec confrontation des différentes parties, est à mes yeux un des plus grands points faibles de La Rumeur car le scénario suit de manière un peu trop forcée le cap qu'il s'est fixé, à savoir que les adultes vont croire la parole de l'enfant (forcément angélique, pure, incapable d'imaginer de genre de choses) en dépit des nombreuses incohérences constatées. D'autant que Rosalie, une jeune fille cleptomane, parvient à exprimer sa partie avec beaucoup moins d'ostentation que la manipulatrice Mary. La tante absente ne pouvant témoigner en leur faveur, également, n'aide pas à huiler les rouages du script. Les conséquences seront en outre drastiques pour les deux femmes injustement accusées, "injustement" au sens où rien dans les faits ne pouvait leur être reproché (elles n'ont littéralement rien fait), et non pas au sens où elles auraient très bien pu assumer leur relation saphique — le film se garde bien d'aborder cette question, il est suffisamment avant-gardiste pour l'époque sur le sujet "contre-nature" traité de manière très frontale. La réplique qui entérine cet aspect-là est assez percutante : "You've always had a jealous, possessive nature even as a child. If you had a friend, you'd be upset if she liked anybody else. And that's what's happening now! And it's unnatural. It's just as unnatural as it can be". Là où James Garner se révèle bien fade dans l'archétype de l'autorité masculine, il faut reconnaître à Audrey Hepburn et Shirley MacLaine un sacré talent dans la composition de leurs rôles respectifs. Pas d'homophobie violente à leur égard, pas de manichéisme, pas de stéréotypes outranciers, juste la rumeur qui est partie comme un feu de paille et qui les a conduites à la réclusion.
Et puis il y a cette ellipse qui n'est pas annoncée, quelque temps après le procès perdu par les deux amies, enclenchant la dernière partie de l'intrigue portée sur un cinéma extrêmement classique (ici aussi dans l'acception non-péjorative du terme, simplement un peu trop démonstratif vu d'aujourd'hui) dans la mise en scène comme dans les mécanismes de la tragédie qui se noue. Le travail sur la psychologie et les émotions de MacLaine, elle qui aurait commis une faute et rongée par la culpabilité, fournit un combustible très efficace à la dernière demi-heure qui consacrera l'aboutissement du délitement d'une relation affective. Conclusion particulièrement dramatique de l'étouffement de cette petite ville américaine puritaine et oppressante, au terme d'une lente désagrégation des rapports sociaux.
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