Je vais être directe, mais je suis dans une incompréhension totale quant à la note de La Rupture sur Senscritique (moins de 5 sur 10 à l'heure où j'écris ces lignes), tant je trouve que le film apporte vraiment quelque chose nouveau à la tradition de la comédie romantique. Je pense que le film a probablement souffert de sa catégorisation 《 comédie》, dans la mesure où les gens ont dû pour la plupart avoir certaines attentes qui n'ont pas été réalisées:
en effet, celui-ci s'avère en fin de compte assez pessimiste et noir, alors que le genre nous a plutôt habitués aux *happy endings*.
Alors, nous sommes d'accord, la mise en scène et la réalisation sont somme toute lambdas, répondant aux conventions du genre; pas de parti pris esthétique marqué et pas d'extravagences stylistiques, comme la plupart des films à large distribution.
C'est surtout sur son fond que le film m'intéresse, et la façon dont il aborde de manière nouvelle la comédie romantique dans son discours idéologique. En effet, la plupart des comédies romantiques depuis la fin des années 1990 et le début des années 2000 sont marquées par une standardisation de leur discours et de leur narration: première rencontre, bonheur, nœud narratif, péripéties, réconciliation sous la pluie en public après une course poursuite jusqu'à la gare (je caricature à peine). Cette industrialisation de la production cinématophique par l'essor d'un véritable standard scénarisque nous a menés dans les pires moments de la comédie romantique (je pense notamment à Along came Polly avec Jennifer Aniston égalemment ; comme quoi...), genre défini à partir de l'instant où l'importance a été mise sur le respect strict de ce modèle contre le respect de la cohérence d'ensemble de l'œuvre, dans le respect notamment de la cohérence des personnages de ces films. Cette standardisation se fondait il me semble sur le message suivant: comme je t'aime, j'accepte tout de toi, rendant par la même caduc toute tentative de péripéties. Les films s'étaient alors en partie vidés de leur enjeux narratifs et scénaristiques, et on était vraiment dans un rapport complètement gratuit (c'est-à-dire sans enjeux) à l'œuvre, dans un rapport de consommation. Je ne compte plus le nombre de comédies romantiques où un point de tension est soulevé, traduisant un dysfonctionnement légitime à interroger au sein du couple représenté, puis évacué par le désormais deus ex machina: 《 Oublions tout puisque je t'aime.》Outre l'aspect malsain, voire dangereux d'un tel message, ces films amènent à se questionner sur la légitimité de leur scénario, dans la mesure où dix minutes de fin viennent complètement anéantir une intrigue formée pendant 1h30.
Ainsi, face à tel constat, La Rupture s'impose comme un film novateur dans ses idées (en 2006) et surtout réaliste, et ce à deux égards: d'abord, la représentation du couple me semble somme toute extrêmement pertinente; j'ai lu certains parler de caricature – un espèce de gros beauf assisté mais sympathique et une amoureuse dévouée et démunie – mais cette dynamique, articulée autour de la notion de responsabilité, me semble pourtant extrêmement répandue (il est parfois difficile de réaliser que nous sommes nous à certains égards des clichés de notres espèce); certes la représentation est crue et je peux comprendre que certains aient pu se sentir insultés de voir leur sexe ainsi incriminés mais enfin, je l'ai trouvée pour ma part très finement observée.
La scène où Brooke, après s'être fait posée un lapin dans une ultime tentative de sauver sa relation, pleure dans sa chambre est à cet égard extrêmement pertinente et m'a personnellement beaucoup émue, tout comme celle qui suit où son ex-conjoint est incapable de reconnaître sa part de responsabilité dans la tournure des évènements.
Réaliste aussi parce que La Rupture définit le réel comme moteur de l'action: en effet, ici, les évènements, les actes manqués, les erreurs ont un véritable impact sur le cours des évènements, alors qu'on est désormais beaucoup plus habitués à une justification de l'ordre du psychologique, d'une vérité interne des personnages; cela rendant l'évolution scénaristique du film tout sauf gratuite. Chaque évènement des personnages a une incidence sur le reste de l'action et en fin de compte sur la conclusion du film. La Rupture sort complètement de ce schéma quasi mystique et transcendantale où les gens s'aiment sans raison et malgré tout.
L'une des dernières répliques de Jennifer Aniston traduit clairement cette idée lorsque celle-ci, au moment de rendre leur appartement commun, déclare: "Gary, there is a thousand things I would have done differently." Les actions ont ici une résonnance déterminante.
Enfin, réaliste aussi peut-être, en fin de compte, dans certaines de ses images:
pendant le générique de début, on voit défiler une série de photo du couple, et j'ai trouvé toutes ces images d'une touchante familiarité: celles-ci sont sur ou mal exposées, mal cadrées, voire floues, les petits doubles mentons sont apparents... Bref, des photos de la vie de tous les jours, loins des standards Photoshop et des images Tumblr.
Enfin, la fin en elle-même me paraît particulièrement bien représentée, en montrant l'ambiguité des sentiments, en refusant tout raccourci trop simple: oui quitter quelqu'un, c'est difficile, et il arrive souvent qu'on les aime encore, est-ce pourtant une raison de s'imposer l'insupportable ?
En espérant avoir réhabilité un film que je trouve bien sous-côté.