Un essai anti-cinématographique tout à fait passionnant, passant au crible tous les moyens spectaculaires de la société contemporaine : images comme vecteur médiatique, politique ou publicitaire ; critique de la séparation, de la "scission" populaire entretenue par une société consumériste se jugeant elle-même non sans une certaine hypocrisie morale ; mépris de la situation et de l'agissement ( au sens d'activisme ) au profit de l'évènement et d'une temporalité mercantile faussement cyclique.
Plus de 20 ans après le manifeste des Hurlements en faveur de Sade ( formidable mise en pratique paradoxalement rétrospective et très concrète des théories de La Société du Spectacle ) Guy Debord adapte par le son, l'image et le mouvement ses écrits sociologiques éponymes : en résulte un non-film d'une densité intellectuelle rarement égalée encore aujourd'hui, redoutablement abrupt ainsi qu'exigeant dans le même mouvement de soutenance. Clairement retranché à l'extrême-gauche de l'hémicycle idéologique La Société du Spectacle est le nec plus ultra de l'austérité culturelle et de la pensée situationniste, véritable objet utilitariste permettant et pariant sur l'intelligence du prolo et du spectateur engagé.
Lourde, revêche et en grande partie antipathique dans sa présentation discursive la voix-off incessante de Guy Debord commente un flot d'images souvent débarrassées de leur contexte originel, allant du répertoire classique des films américains aux oeuvres propagandistes du cinéma soviétique des années 1920 en passant par des réclames et des reproductions dévitalisées de tableaux sans couleurs aucunes... Il faut faire un effort pour concentrer son attention sur la réflexion rigoureusement dictée par le sociologue, réflexion qui sera en grande partie complétée dans l'ultérieur In girum imus nocte et consumimur igni.
Entre un jugement délibérément partial à l'encontre du capitalisme et un penchant prononcé pour les idées marxistes et les répercussions d'un Mai 68 encore frais dans les mémoires contemporaines à Debord le film se livre telle une étude fascinante et pas loin d'être visionnaire. A voir absolument La Société du Spectacle est une Oeuvre qui, sans nier sa forme, en forme dans le même temps sa propre négation. Passionnant, donc.