Alors que les films précédents de Debord font partie intégrante de son œuvre, difficile de voir celui-ci autrement que comme un sous-produit. Autrement dit, je trouve le livre de 1967 génial, et le film de 1973 extrêmement pâle. C’est là tout le problème de l’auto-adaptation en général, accentué ici parce que, si la théorie situationniste du détournement peut se révéler extrêmement fertile appliquée aux œuvres d’autrui, elle s’applique avec moins de succès s’agissant d’auto-détournement.
Le ton lugubre employé par la voix off tout au long de la Société du Spectacle rend assez bien justice à ce que le situationnisme a de foncièrement pessimiste. Et les commentaires, extraits du livre, restent magnifiquement stimulants – pour donner tout son poids à ce mot galvaudé par la critique universitaire.
Mais l’œuvre est tout aussi nulle cinématographiquement que Hurlements en faveur de Sade : la Société du Spectacle n’est pas un film. Ça n’est pas pour ça que ne présente aucun intérêt – on sait depuis au moins la Jetée de Chris Marker qu’un certain nombre de choses projetées, en rapport avec le cinéma et qui ne sont pas des films, peuvent être des chefs-d’œuvre. Donc, pour singer la blague juive du restaurant dans lequel on mange à la fois mal et trop peu, non seulement la Société du Spectacle n’est pas un film, mais tout est dit dans la bande-annonce.
Sur l’écran noir s’affiche progressivement, comme tapé à la machine, le texte suivant : « Que la tentative révolutionnaire de mai 1968 ait marqué le changement d’une époque, voilà ce que démontre le simple fait qu’un livre de théorie subversive comme la Société du spectacle de Guy Debord puisse être aujourd’hui porté à l’écran par son auteur lui-même et qu’il existe un producteur pour financer une telle entreprise. » (J’ai rétabli la ponctuation, et écrit en italique ce qui apparaît en caractères plus gros.) À posteriori, la phrase ressemble à une épée à double lame : Mai 1968 comme point de départ d’une expansion révolutionnaire, ou comme début d’une récupération sans précédent ? J’imagine que Debord avait envisagé les deux interprétations. Puis ceci apparaît cinq secondes : « Vous pourrez / voir / prochainement / sur cet écran / la Société / du Spectacle ». Et enfin la chute : « et ultérieurement / partout ailleurs / sa destruction ».
Il paraît que la fonction d’une bande-annonce est de donner envie de voir le film.