La Soif du mal par ChrisBur
Tout (ou presque) ayant déjà été dit sur ce film - qu'on vous colle généralement entre les mains, avec la mention "prière d'admirer" - je me contenterai ici de quelques remarques.
Tout d'abord, "Touch of Evil" est resté TRES longtemps un film TRES négligé, la critique scolaire préférant disserter sur "Citizen Kane" pensum méritant, donc obligatoire (et dans lequel l'esbrouffe cède rarement le pas à quelque chose de plus profond, mais c'est un autre débat).
Film sale, très sale, fondamentalement baroque - le plus baroque peut-être de tous les films - "Touch of Evil" ne peut être considéré comme un film hollywoodien, en raison même de cette impureté fondamentale, qui l'empêche de mal vieillir : entièrement construit sur des ruptures de ton, le récit se tord comme un diable dans un bénitier, dans le seul but d'échapper aux conventions de genre (ici, celles du " Film Noir ") : les conventions, le film les zappe, les distord, les magnifie jusqu'au délire, puis les massacre allègrement pour les remplacer par d'autres, qui toutes s'effacent au fil de l'eau, le film ayant sa propre logique, celle d'une "morale" purement cinématographique, celle du "cinéma pur", telle que l'illustre parfois la lumière crue des néons (Venice Beach, filmée comme si c'était "The Mexican Border") ou - plus rarement - une lumière dense, puissante mais froide, précise, régénératrice (cf. la séquence "derrick" sur la fin) : le film multiplie les coups de projecteurs sur une masse glauque, informe, celle du vice ordinaire (qui repousse à chaque plan, ou presque). Entre deux morceaux de bravoure, le film trouve ainsi l'essentiel de son intérêt dans les temps faibles, dans les zones grises, celles où l'on rebat les cartes ... Terrain mouvant, marécages où la volonté se perd (le "héros" Charlton Heston, piégé par sa femme, qui est aussi son talon d'Achille), et sans lesquels la fameuse "frontalité" du film, si souvent revendiquée, n'aurait absolument pas de sens.
Tant il est vrai que le film se nourrit d'une équivoque profonde, alimentée aux racines du Mal - mais un monde sans équivoque ne serait-il pas le Mal Absolu ? Tel pourrait-être l'ultime message du chef détective Quinlan ...