A peine installé, la scène d'intro défrise, d'un kitsch baroque comme seuls les Italiens, voire les grecques, peuvent en faire ; si on oublie les méfaits de Carpenter.
La suite des hostilités expose un montage qui paraît complètement foutraque, alors qu'il s'avère finalement dingue de précision. En effet, faire s'imbriquer pêle-mêle les trois périodes d'une vie (l'enfance, l'adolescence, l'âge adulte) est déstabilisant, mais est en fin de compte un redoutable (ou fallacieux ?) procédé... Puisqu'on est la plupart du temps perdu. A ne pas avoir l'oreille Italienne, on en oublie vite les prénoms, et ce n'est pas la forte ressemblance entre la sœur du protagoniste, alors gamine, et sa copine à l'adolescence qui y remédieront. C'est un jeu, le cinéaste souhaite perdre le spectateur, ou, au choix, lui coller la nausée.
Globalement, le metteur en scène s'en donne à cœur joie, et c'est communicatif. Beaucoup de plans fourmillent d'idées, que ce soit en terme de cadrage, d'habillage sonore constant, ou tout simplement de décalage de ton entre ce qui est montré et ce qu'on entend. Pour l'ambiance de certains plans, on n'est pas loin d'un Lynch, et on fait un grand bond dans le passé lorsqu'il s'agit d'entendre les inquiétantes mélodies comme Hitchcock savait les dessiner.
Dans la forme, c'est malsain, et dans le fond, ça l'est de manière plus visible. Les situations font une fixette sur le scabreux, l'extraordinaire et la noirceur de l'âme humaine, si bien qu'on croit vite à la thèse du conte sombre et très pessimiste sur la condition humaine, de l'origine à son salut.
La dernière demie-heure est plus décevante, moins exubérante et plus prévisible. Elle est « rangée », peut-on dire, comme ces deux « nombres premiers » qui resteront malgré eux isolés mais qui pour un temps se retrouvent et se réunissent.
Beau, il appartient à la cour des films « coup de poing », qui dérangent, puis choquent. Dans ce sens, il m'a rapidement fait penser à notre Gaspar Noé national : Seul Contre Tous, mais surtout Irréversible. L'ultra-violence autodestructive, latente, évoque un Orange mécanique de la dissimulation.
La solitude des nombres premiers n'est pas un film d'auteur, mais une adaptation que j'imagine libre (sans avoir lu le livre) et donc réussie ; assez en tout cas pour que les infidélités soient gommés par l'essai cinématographique. Et si en plus Mike Patton, celui qu'on connaît pour Faith No More, Mr Bungle et Fantômas, est aux manettes de la BO... Que demander de plus ? Ce que je sais, c'est que ça donne sacrément envie d'en (sa)voir plus au sujet du réalisateur.