Un train arrive dans une gare d'une petite ville italienne oubliée des dieux, au milieu de la campagne (padane ?). Un homme en descend, avec une valise. Il s'appelle Athos Magnani. Comme un résistant au fascisme, son père, à qui il ressemble beaucoup, mort en 1936 alors qu'il allait au théâtre, assister à Rigoletto. Il rencontre Draifa, une femme au sourire étrange, qui lui demande de découvrir qui avait tué son père (peut-être son ancien ennemi, le gros propriétaire Beccaria ?). Bousculé par un mystérieux agresseur, le jeune homme, au départ indifférent, décide de rester enquêter. Il rencontre Costa, Raisori et Gaibazzi, trois compagnons de résistance de son père, qui lui livrent une version qui lui semble très standardisée : une vengeance fasciste, car Athos préparait un attentat à la bombe sur Mussolini.
D'autres événements étranges ont lieu, suggérant que la petite bourgade, coupée du monde, est assez fermée. Athos rencontre Beccaria, qui dit que ce n'est pas lui. De dépit, il vandalise la plaque en l'honneur de son père. Les trois lurons intimident un peu Athos. Celui-ci songe à partir, mais il entend l'air d'ouverture de Rigoletto, et entre dans le théâtre. Au moment fatal, les 3 lurons se pointent et avouent : son père était en réalité un traître, qui avait dénoncé le complot. Pour que son nom reste associé à la résistance antifasciste, il demande à ses amis de le tuer. Notre héros renonce à révéler le pot aux roses lors du discours d'inauguration au nouveau monument. Lorsqu'il décide de prendre le train pour repartir, celui-ci est annoncé d'abord avec 20 mn de retard, puis 35, puis le héros regarde les rails et remarquent que de l'herbe a poussé : il est prisonnier du mensonge... et de la ville.
Un film fauché, avec des plans magnifiques, tant du point de vue du cadrage que du choix des couleurs, souvent chaudes, de cette petite bourgade (on penserait presque à une pub pour de l'huile d'olive), sans parler des (lents) mouvements d'appareil (principalement des travellings latéraux ou arrière). Il y a aussi un plan bizarre d'un mec qui file un pain à la caméra, point qui au niveau scénaristique ne sera jamais élucidé.
L'intrigue avance lentement mais inexorablement, un peu comme les nouvelles de Borgès dont elle s'inspire. C'est un film d'ambiance, qui se finit bizarrement comme un épisode de La 4e dimension.
L'aspect le plus important, c'est le travail sur les flashbacks. Bertolucci utilise les mêmes acteurs pour les flashbacks concernant Athos Magnani père, sans chercher à les vieillir, et le même acteur joue le père et le fils. Surtout, ces épisodes ont une atmosphère étrange (placement des personnages, timing des répliques assez improbable), qui leur donne un aspect délibérément artificiel : ce qui est montré n'est pas forcément digne d'être cru.
Il y a aussi des éléments bizarres. Un personnage secondaire qui fait une sorte d'ode au prosciutto, avec des coupes un peu "Nouvelle Vague" (mais discret). Ou tout cet épisode avec la tête de lion, portée sur un plat, qui fait penser à des rinceaux baroques.
Un polar en forme de parabole politique (mis à part Borgès, je pensais aussi un peu à Sciascia), fauché et beau.