Il est toujours délicat de juger une adaptation quand on connaît le matériau de base, d'autant plus lorsqu'on aimé ce dernier. Si en adaptant "As I lay Dying", l'un des plus tordus livres de Faulkner, James Franco allait droit dans le mur, la Stratégie Ender, elle, semblait à la fois une évidence et une gageure. Pourquoi pas après tout ? Ne jouons pas les iconoclastes.
Fidèle le film l'est grosso modo : la plupart des scènes y sont, les dialogues récités tels quels. Notons toutefois qu'il n'intègre pas la Stratégie de l'Ombre. Excepté le segment Peter-Valentine qui se serait en effet bien mal incorporé à la sauce, le jeu des 7 erreurs n'est pas si probant. Fidèle donc mais l'esprit y est-il ?
Car, voila, si au fond la Stratégie Ender colle parfaitement au récit (hollywoodien) d'un film lambda – Le voyage initiatique d'un héros et la perte de l'innocence qui s'en suit – ce qui fait la force du bouquin c'est bien de se placer DANS et non pour la caboche d'un gamin de 8 ans en détournant toute la thématique du jeu et de la grande destinée.
Ender se trouve projeté dans un monde froid, sans merci, qui ne voulait même pas de lui. Haute solitude au sein des adultes alors qu'on lui met sur les épaules toute la misère du monde. Ou tout du moins il le voit ainsi. Orson Scott Card écrit souvent des gamins car il sait en décortiquer avec justesse leurs ruminations.
Mais une fois une caméra posée, comme un œil dans la tombe, externe, ne reposant que sur le jeu d'Asa et une voix off terne, on perd nécessairement au change. Le spectateur a alors le regard d'adulte : une ambiance clairement très, trop, bon enfant. C'est cela, des jeux d'enfants dans le dortoir et la cour de récré. Harrison Ford fatigué en Graff qui sort de l'ombre pour être toujours là, un peu bougon, un peu ronchon, mais figure paternelle toujours, comme un Dumbledore, non plus ce général lointain qui épie derrière les cloisons. Bean et Petra, Vomit & co, on n'en doute pas une seule seconde, seront ses fidèles amis.
Certains passages ne passent pas à l'écran et sont ridicules, d'autres sont étonnement conservés mais, expurgés, laissent une impression grotesque, presque déplacée.
On a longtemps cru qu'en plus de nous sucrer toute la partie Peter-Valentine qui anticipait avec près de 30 ans les possibilités d'Internet, on nous enlèverait le jeu sur iPad. Ils auraient sans doute dû, quitte à goupiller la fin d'une autre manière, car ces scènes sont d'une extrême laideur, façon mauvais Dreamwork, façon Minimoys et, de toute manière, ratent le coche sans le déroulé intérieur du héros. On comprend bien pourquoi ils sont allé vers ce rendu et non quelque chose de plus stylisé, mais tout de même... quelle sainte horreur.
The Game en lui-même, les scènes en apesanteur sont peu lisibles, balourdes, les acteurs qui flottent bon gré mal intégrés, après la fluidité toute naturelle de Gravity, ça a franchement du mal à passer.
De toute manière, très rapidement une ellipse fort maladroite évince une bonne partie du bouquin et évente la montée en puissance de l'équipe de bras-cassés qui parvient à gagner en suivant les règles puis, quand on leur impose des combats injustes, en les détournant. Et au milieu la résilience d'Andrew qui s'intègre, trouve un équilibre, prouve qu'il est le leader qu'il doit être.
Tout ça pour nous plonger plus longuement dans l'examen final, celui avec le joli dôme de réalité virtuelle, Ender qui fait de grands gestes à la Minority Report et le retour des immondes CGI arc-en-ciel datées de 2008. De manière générale, si les décors ne sont pas mauvais, une énième station spatiale avec écrans plats, toute la partie numérique dégouline de mauvais pixels.
Il faut toutefois admettre que ça aurait pu être bien pire, demeure une certaine essence du propos. Ender's Game n'est donc pas tant édulcoré qu'enrobé de jolis atours, d'un rythme très dense, sans temps morts, d'affreux CGI vidéoludesques à peine au niveau, d'acteurs qui n'y croient pas, d'un éclairage doux et d'une station par trop confortable. Vraiment on aurait envie d'y vivre dans cette école militaire. Le tout donne un résultat anesthésié et anesthésiant. Le cul entre deux chaises, Ender et son monde y sont trop tendres même si on nous rabâche le contraire.
Le film apparaît donc ici comme un de Hunger Game de plus, inoffensif, rien n'y a de réel poids, où l'on nous parle de violence, physique et surtout morale, sans jamais l'illustrer ou la décortiquer. Tout ça n'est qu'un jeu.
Adapter La Stratégie Ender c'était aussi, si succès, la promesse de tout un cycle et même de plusieurs sous-cycles. Le film ayant eu peu de succès il serait à présent question d'une série télé. Les suites étant très différentes du premier bouquin et renforçant l'aspect psychologique et intimiste, qu'il s'agisse d'explorer l'Hégémonie ou même la suite La Voix des Morts, suggérée par Kingsley, et son mystère de xéno-anthropologie, à la limite, ça ne serait pas plus mal, le format n'ayant pas l'obligation de prendre des faux airs de blockbusters.