La Table-aux-Crevés est le premier long métrage d’Henri Verneuil et Fernandel en est le personnage principal. La collaboration entre les deux hommes a commencé en 1947 quand, Fernandel déjà célèbre, a accepté de tourner un court métrage : Escale au soleil pour Henri Verneuil, réalisateur encore inconnu. La Table-aux-Crevés est le premier long métrage où ils travaillent ensemble et il sera suivi de plusieurs autres.
La Table-aux-Crevés n’est pas sans rappeler les films de Pagnol et nous évoque parfois l’histoire de Dom Camillo. A l’ouverture du film, le narrateur nous présente Cantagrel, ce petit village de Provence avec ses calotins et ses républicains, son maire et son curé et enfin son garde-champêtre. Village de gens simples aux idées simples : à Cantagrenel « les gens aux idées avancées sont simplement républicains et aiment la République parce qu’elle n’est pas fière disent-ils ! » Village où les paroles sont simples et maladroites, ainsi Urbain Coindet ne trouvant rien de mieux à dire à ses beaux-parents venus près du corps de leur fille qui s’est suicidée : « c’est pas de chance quand même ! ».
Dans ce petit village de Provence coupé du reste du monde : l’accent est chantant, le sang et les langues s’échauffent vite, les commérages et les « on dit » déterminent la réalité, les différents se règlent à coups de poings ou de fusil, on ne plaisante pas avec les questions qui touchent à l’honneur et on va prier la « sainte Vierge » avant d’aller tuer : « je ne vous demande pas de me pardonner, mais je voudrais que vous me restiez gracieuse ». Heureusement si les drames se déclenchent vite, ils se dénouent vite aussi, moyennant tout de même ici un blessé… en l’occurrence celui qui a provoqué involontairement et inconsciemment le drame autour duquel tourne l’histoire.
La légèreté provençale imprègne le film, certaines scènes sont vraiment drôles, comme celle de l’enterrement de la pauvre femme d’Urbain avec le discours confus, hors sujet et républicain du maire ! Mais aussi les nombreuses répliques du personnage de Fernandel.
Bien que ce drame soit traité de manière légère, la réalisation est soignée et maîtrisée. Ainsi, les plans sont recherchés telle de la scène de l’enterrement où le point de vue est celui de la place du cadavre depuis où ce qui se passe au dessus de la tombe prend des airs de comédie humaine, ou encore le long plan à Cessigney où les gendarmes remontent le long du port à la recherche du coupable tandis que les visages et les regards se lèvent les uns après les autres vers les gendarmes avec un air de défi.
La Table-aux-Crevés n’est pas un grand film, mais c’est un petit bijou de drôlerie et une belle réussite pour un premier long métrage.