"There's a mole, right at the top of the Circus"
En sortant de la salle, je me suis trouvé envahi par une sensation des plus étranges. J'avais comme l'impression que l'intrigue m'avait échappé. A la fin du film, j'ai ressenti une frustration intense à l'idée d'avoir eu la solution finale sans vraiment savoir comment je l'avais obtenue.
Et puis, j'ai eu un flash. Je me suis revu, sur les bancs de mon lycée, pendant mes cours de maths et de physique, en seconde. Je notais bêtement la solution d'un problème sans avoir rien compris au développement. "La Taupe" réitère ce procédé un brin retord : le spectateur, perdu, n'ose pas réellement dire qu'il n'a pas tout saisi, et reste sur sa faim, comme amputé d'une partie d'un raisonnement qu'il n'a pas su englober dans sa totalité.
Concernant l'histoire en tant que telle donc, ce n'est pas de tout repos d'essayer de garder le fil et de comprendre toutes les tractations et les manigances qui se déroulent au sommet du "Cirque". Nébuleux, voire parfois verbeux et incompréhensible, le scénario n'est à mon sens pas le point fort de "La Taupe".
Restent les plans, tous plus grandioses les uns que les autres : les couleurs, ternes, presque passées, n'en demeurent pas moins étonnantes et envoûtantes. Certains effets de cadrage et de profondeur confèrent au film un aspect étrange qui ne fait que renforcer l'atmosphère si intrigante qui plane sur ce long métrage parfaitement maîtrisé.
La musique sourde et le rythme lent, parfois même apathique, revêtent une dimension fascinante : il ne se passe rien, et pourtant, le spectateur est comme suspendu au fil de l'intrigue, scrutant le moindre bruit, le moindre détail suspect.
Mais, au delà de tout, la grande force du film réside dans la capacité qu'il présente à restituer cette tension latente où la suspicion règne à chaque regard, à chaque coin de rue, à chaque souffle. Un personnage transpire un peu trop, l'autre se gratte nerveusement, un troisième affiche un air fuyant : avec ce peu d'artifices, et sans jamais avoir recours à la spectacularisation à outrance, Alfredson réussit la prouesse de distiller avec une grande élégance un effet d'angoisse oppressant.
Les sentiments qui unissent certains des protagonistes auraient peut-être gagné à être approfondis, mais le réalisateur arrive tout de même à introduire les bases d'une amitié virile touchante et noble qui apporte au film une lueur d'humanité dans toute cette mécanique d'espionnage un peu froide.
Enfin, les acteurs, tous en demi-teinte, jouent la mesure : sobres et posés, ils s'accordent peu de fantaisies mais mettent leur talent au service de la tonalité générale du film. Minimaliste, Gary Oldman impressionne par son charisme, Colin Firth charme par sa classe et Mark Strong impose sa puissance d'un geste. On est conquis.
Pour conclure, j'aurais bien aimé pouvoir affirmer avec fierté : "j'ai compris !". Malheureusement, il n'en est rien. Mais, à défaut d'avoir intellectualisé, j'ai ressenti. Appréhender un film avec son instinct et ses sens est un autre aspect de l'expérience cinématographique qui gagnerait à être plus répandu !