Première adaptation de Daphne du Mourier pour Alfred Hitchcock, avant de réitérer l'année suivante avec Rebecca, puis vingt ans plus tard avec le classique The Birds, Jamaica Inn raconte 


les boucaniers des Cornouailles du XIXème siècle



et la probité d'une jeune femme orpheline au cœur de la corruption locale. Dernière réalisation du cinéaste avant l'envol pour Hollywood, le film a connu un franc succès à l'époque de sa sortie aux premières heures de la Seconde Guerre Mondiale. Quatre-vingts ans plus tard, le suspense s'est assurément amoindri, le rythme vacille dans les longueurs par moments, mais la prestation des comédiens principaux impressionne encore. Le style du maître ne marque pas encore l'œuvre dans son intégralité mais de nombreux plans viennent donner une idée de ce que l'auteur développera par la suite. Contre vents et marées, ce Jamaica Inn reste



une très intéressante virée pirate pour découvrir Alfred avant Hitchcock.



Au cœur des landes désolées des Cornouailles maritimes où l'océan se heurte aux rochers acérés et aux falaises abruptes, une bande de fiers boucaniers force les naufrages des navires de commerce qui passent alentours. L'arrivée de Mary, la nièce du chef de ces brigands, jeune, belle et vertueuse, va venir chambouler leurs habitudes bien rodées : tel le grain de sable, elle vient gripper sans vergogne les rouages d'une mécanique jusqu'alors implacable et bien huilée. Et lorsque cette dernière se retrouve exposée à la violence des gredins frustrés par ses interventions, elle trouve refuge auprès du juge local, riche et souriant, sans se douter un seul instant qu'il n'est autre que l'organisateur et le commanditaire de ces multiples naufrages.
Le tournage en studio offre au réalisateur, et à ses photographes Harry Stradling Sr. et Bernard Knowles, la liberté de plans très travaillés : la lumière en clairs obscurs de la taverne rappelle par moment les grandes œuvres expressionnistes au cœur d'un dédale qui permet l'imbrication de différentes séquences, et joue le contraste idéal avec la surabondance éclatante qui illumine l'intérieur du manoir bourgeois aux fastes décuplés où le juge vaque à ses procrastinations. Les extérieurs, tranchés et saisissants, s'imprègnent avec violence de l'océan tempétueux et des vents impétueux qui courent la lande. Il règne là


une austérité intensément favorable au développement de la tension narrative.



Si la mise en scène oscille entre classicisme et patte de l'auteur, le petit bémol, malheureusement récurrent, se situe là où le théâtre peut se permettre quelques facilités que le cinéma n'excuse pas : maintes fois certains protagonistes se dissimulent à la vue de leurs poursuivants, chaque fois la cache est ridicule et demande un effort d'acceptation de la part du spectateur, une certaine indulgence. Si cela fonctionnait à l'aube d'une industrie en écriture, ces facilités paraissent aujourd'hui inacceptables.
Le scénario fonctionne parce que les personnages vivent. Maureen O'Hara, pour son premier rôle à l'écran, impressionne de justesse : jamais d'exagération, jamais de larmoiement inutile,


la jeune comédienne impose un naturel encore rare à l'époque



et dégage à la perfection l'innocence autant que la conviction qui l'habitent. Face à elle, Charles Laughton donne dans l'extravagance : faux nez, faux sourcils épais, et ridicule de la fatuité, tout paraît démesuré et pourtant le personnage est bien là, folie des grandeurs, égocentrisme et déconnexion. Aux frontières de la caricature, il sue le réalisme nauséabond de ceux-là qui s'enrichissent sans vergogne sur le dos des autres. L'autre gros rôle masculin, celui de l'oncle, est tenu par Leslie Banks qui donne corps avec grimaces et grognements à ce bandit sans pitié mais pas sans sentiment, une composition là encore impressionnante. Bémol pour Robert Newton, un peu en-dessous de ce qu'on pourrait attendre de ce protagoniste duel, officier de la loi infiltré au physique trop lisse, peut-être trop gendre idéal, pour y laisser s'accrocher les aspérités de ses manœuvres. Dommage parce qu'au final ce pivot de la narration n'emballe pas, n'emporte pas l'adhésion du spectateur, et ne raconte pas grand chose.


Jamaica Inn, loin d'être dans le haut du panier des métrages d'Alfred Hitchcock, n'est pas non plus un  film mineur mais bien 


l'aboutissement d'un début de carrière



qui voit le jeune cinéaste accrocher un gros budget pour un film aux extérieurs ambitieux. On y retiendra les prestations des comédiens et cet esprit de liberté étriquée des pirates qui, s'ils n'obéissent qu'à leurs propres lois, ont oublié ce qu'est la compassion et ce qui fait, sous les frusques et les frasques, leur humanité. Au cœur de ces désœuvrements, la belle héroïne vient rappeler l'importance de la famille, les impératifs de probité qui nous y lient, tandis que l'opposant, ce juge fat et fou, bête de foire et chef de meute, vient dénoncer avec moult excentricités



la rapace folie des grandeurs de ceux qui accèdent au pouvoir



et y oublient ceux qu'ils sont supposés soutenir.
Au dernier plan, le sujet peut paraître bancal mais au fond, ce qui compte là, c'est l'aventure.

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le 20 août 2018

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