Tragédie hivernale d'une gracieuse pureté formelle, délicate comme la neige, impitoyable comme le vent des montagnes, porté par un jeu d'acteur somptueux, et admirable pour sa clairvoyance politique immédiate.
The Mortal Storm sort en salle en 1940 - il précède The Dictator, To be or not to be et l'engagement des États-Unis contre le Troisième Reich. Frank Borzage y expose au soleil du matin les rouages psychologiques du nazisme. Comment l'idéologie se nourrit des affects pour assouvir sa soif. Comment le sentiment d'unité d'un peuple fantasmé exclut de fait une partie du peuple réel. Comment l'euphorie collective se mue en délire meurtrier. Comment la fierté d'une identité la rend agressive contre ce qui la porte à faux. Comment des détails innocents lors de festivités joyeuses en famille annoncent, hélas, la division, les autodafés et les camps de la mort. Le film ne témoigne pas seulement d'une analyse à vif, perspicace, des mécanismes psychologiques insidieux à l'oeuvre dès l'aube du nazisme ; ces mécanismes sont plus largement utilisés par toute forme de totalitarisme. Récemment, en République "Populaire" de Chine, des nonnes tibétaines qui passaient un col de montagne pour fuir le régime ont été abattues par les garde-frontières chinois. L'histoire est par trop semblable à la conclusion tragique de The Mortal Storm. Plus proches de nous aussi, des signes inquiétants doivent alerter : une formation politique qui refuse de parler aux autres, les porte-paroles auto-proclamés du Peuple, Musk et ses acolytes eugénistes qui s'habillent en politiciens et hommes du dialogue, les antisémites respectables, etc.
Si le Karwendel offre des paysages magnifiques en hiver (j'ai habité Innsbruck deux années, j'en sais quelque chose), sa beauté est surpassée encore par le cadre féérique de la tragédie. Des gouttes de sang sur la neige.
Puisse ce film tenir compagnie à quelques indépendants d'esprit et leur inspirer courage !