Emmanuelle Bercot, artiste aux multiples facettes (actrice, réalisatrice, scénariste…) signe avec La tête haute le film qui fit l'ouverture au festival de Cannes 2015. La tête haute raconte le parcours éducatif de Malony, de six à dix-huit ans, qu'une juge des enfants et un éducateur tentent inlassablement de sauver. Dans le premier rôle et pour son premier rôle au cinéma on découvre le jeune Rod Paradot, repéré lors d'un casting sauvage alors qu'il faisait un CAP menuiserie. Nul doute que le cinéma risque de lui réserver un accueil plus que favorable après cette prestation.
Il est assez aisé d'oser les comparaisons avec des films tels que Mommy de Xavier Dolan et Boyhood de Richard Linklater. Le premier pour les similitudes entre les personnages interprétés par Rod Paradot et Antoine-Olivier Pilon, pour leur côté violent et leur relation conflictuelle avec leur mère respective. Concernant Boyhood, il s'agit également d'un film qui illustre l'évolution d'un jeune homme de ses 6 à 18 ans.
On note un gros travail de recherches et de rencontres, auprès des acteurs judiciaires et éducatifs, effectué par Emmanuelle Bercot et Marcia Romano, les deux scénaristes du film. Le film apparaît comme documenté et semble être un reflet réel de la société contemporaine. Lors de ses recherches pour l'écriture du film justement, la réalisatrice est tombée sur cette phrase, provenant du livre d'un juge :
L'éducation est un droit fondamental. Il doit être assumé par la
famille et si elle n'y parvient pas, il revient à la société de
l'assumer…
Elle a trouvé qu'elle synthétisait très bien l'ensemble du film. On ne peut qu'être d'accord avec elle.
Petite anecdote concernant le choix de Catherine Deneuve dans le rôle de la juge pour enfants. Ce rôle devait être endossé par un autre acteur important, une « autorité de cinéma », Gérard Depardieu. Mais quand l'oncle de la réalisatrice qui est éducateur lui a rapporté ces faits elle a changé d'avis. Il aurait dit à une juge, en parlant d'un garçon dont il s'occupait, "Pour lui, vous êtes sa mère et je suis son père" ce à quoi la juge avait répondu "Non, vous êtes sa mère et je suis son père".
On ne peut que souligner la performance irréprochable de Catherine Deneuve, qui apporte une part d'humanité à cette histoire qui pourrait s'avérer sordide. Rod Paradot est bluffant pour un premier rôle, sachant qu'une grande partie du film repose sur ses épaules. On a rien à reprocher à Benoît Magimel qui dévoile un jeu entre force et bienveillance. Mais on ne peut évoquer la partition de Sara Forestier sans parler de son dentier. Je n'ai pas pu m'empêcher de le regarder, créant presque à chaque fois une petite distanciation avec l'histoire et son personnage. Je voyais l'actrice en train de jouer. Mais ce petit écart ne durait pas longtemps, si bien que j'ai pu apprécier son travail à sa pleine valeur et saluer sa composition plutôt crédible dans ce rôle de mère dépassée et démunie.
Pour résumer je dirais que le film est servi par de bons acteurs, qu'il comporte plusieurs moments forts, qu'on ne voit pas le temps passer et qu'en plus ce n'est pas du tout manichéen. On finit par s'attacher au personnage de Malony et à comprendre ses différentes facettes. Comprendre, écouter sans essayer de juger. La tête haute est un film aussi violent qu'il peut être attendrissant. Il remuera certainement des choses chez les spectateurs comme il en remue chez les personnages. Pour toute personne qui travaille au contact de jeunes et d'ados c'est un film qui entrera forcement en résonance avec votre expérience. Comme l'explique Emmanuelle Bercot, il y a un souffle lyrique, qui est apporté par la musique classique et qui apparaît comme un contre point à la délinquance de Malony. La tête haute est un drame social profondément touchant, très justement écrit, mis en scène et interprété. Sans fioritures ni faux semblant, un film sincère et sensible, La tête haute touche en plein cœur.