Lily (Yu Nan, petite trentaine épanouie) travaille comme tisseuse dans une usine chinoise construite avec des capitaux soviétiques. Le début la montre furieuse, retournant à son poste de travail après avoir été convoquée dans les bureaux. Là, on lui a signifié que sa paye serait réduite, car elle a été surprise à manger au travail. Impossible de discuter, puisque la scène a été enregistrée par vidéo-surveillance. Dans l’immense hangar où Lily retourne à son poste, les machines à tisser sont alignées à perte de vue. Ce sont des machines plutôt vieillottes qui rappellent celles utilisées en France dans les années 70, avec leurs navettes en bois bruyantes qui incitent Lily et ses camarades à travailler avec des bouchons dans les oreilles. Pour donner une idée de la quantité de machines dans le hangar, c’est comparable aux bureaux avec machines à écrire dans La garçonnière sauf que le film de Billy Wilder date de 1960, alors que le film de Wang Quan An montre un atelier à Xian (province chinoise de Shan Xi) au XXIème siècle.
Lily n’est pas du genre à encaisser sans rien dire. Elle a la réputation d’une grande gueule, prête à militer pour les conditions de travail et les salaires. Mais l’usine est sur le point de fermer. Déjà, son mari qui y était technicien a été licencié. Depuis, il tente de gagner sa vie en vendant du poisson, faisant face aux caprices de ses clients qui vont jusqu’à provoquer de violentes bagarres (pourtant, il est frais son poisson…) Lily se contente de dire à une collègue qui vient la soutenir, qu’elle s’est vue sur la vidéo et qu’elle s’est trouvée très photogénique. Et c’est vrai : élancée, regard intelligent, cheveux de jais avec quelques mèches rebelles qui soulignent son caractère, beauté naturelle renforcée par sa fureur.
Lily a des saignements de nez. Et puis, dans un auditorium à l’architecture massive (stalinienne ?) où, avec une chorale, les ouvrières répètent des chants russes (La tisseuse et Kakali, kakala) Lily s’écroule. A l’hôpital où elle est venue passer des examens, un médecin tente de la rassurer en lui parlant d’une anémie persistante. Mais au mari il dit la vérité, Lily est atteinte d’une leucémie (cancer du sang). Que faire ? Meilleur chance de guérison, la greffe de moelle osseuse. Sinon, il y a la chimiothérapie, moins onéreuse et moins efficace. Sans traitement, il lui donne 6 mois maxi. Lily entend la fin de la conversation…
Choc moral sévère pour Lily et incompréhension de son fils, le jeune Bing-Bing à qui les parents taisent le drame. Après une discussion avec une collègue ayant été opérée d’un cancer du sein, Lily se pose la question du pourquoi elle vit. Cette question existentielle est au cœur du film. Bien évidemment, il n’y a pas de réponse absolue, mais par l’intermédiaire du personnage de Lily et de tout ce qu’il montre dans le film, le réalisateur fait deviner ce qu’il en pense tout en invitant le spectateur à réfléchir avec lui.
Les sentiments sont essentiels. Pour Lily, c’est terrible, car elle n’a pas choisi sa vie. Elle a renoncé à celui qu’elle aimait parce que ses parents s’opposaient à son choix. Parce qu’il s’est montré correct, elle a épousé un homme dont elle n’a jamais été amoureuse. Avec lui, elle a eu un enfant, Bing-Bing qu’elle aime mais qui est plus proche de son père que de sa mère. De quoi profite-t-elle ? Probablement par manque de moyens (les salaires sont ridiculement faibles), la seule vraie distraction semble être la musique, avec les leçons de piano suivies par Bing-Bing, l’accordéon joué par un ouvrier à la pause et la danse au Phénix (le dancing du coin, au nom révélateur et seul endroit aux apparences modernes, avec ses projecteurs multicolores). Là, Lily pourrait trouver un amant et vivre sur un autre train en acceptant des invitations à danser. Comme si cela pouvait suffire à une jeune femme n’ayant plus que des perspectives à moyen terme !
Dans ce film, le réalisateur dresse discrètement un portrait de la Chine, puissance industrielle émergente. On y voit notamment l’usine où travaille Lily (proche d’une centrale électrique, avec ses énormes tours de refroidissement), mais également une usine d’impression sur tissus où travaille celui qu’elle voulait épouser dix ans plus tôt (et un aperçu de Pékin, ville moderne en construction). Autrement dit, les éléments qui permettent l’importation de tous ces vêtement étiquetés « Made in China » à petits prix dans nos supermarchés.
Le film ne porte pas de jugement. Il montre des individus qui font ce qu’ils peuvent pour s’épanouir dans un système prévu pour une masse. Les personnalités et aspirations individuelles sont étouffées. Comme par hasard, Lily et son amoureux d’alors se sont mariés à la même époque et ont chacun un enfant. Ils travaillent sans vraie perspective d’avenir. Le film montre que, envisager de visiter un site touristique (une plage) s’envisage naturellement au sein d’un groupe. Un groupe qui écoute sagement les indications d’une animatrice dans le bus et qui attend son autorisation pour se promener une petite demi-heure. Occasion pour quelques photos souvenirs, montrant que la poste ne fonctionne pas si mal que cela, contrairement à ce qu’on avait pu croire (Lily a envoyé une bonne centaine de lettres à son amoureux parti vers Pékin, lettres qu’il n’a jamais reçues, situation très rohmérienne).
La fin est toute en délicatesse. Avec beaucoup de pudeur, le réalisateur fait sentir que les choix qu’on fait dans une vie sont déterminants. Fonder une famille n’est pas quelque chose qu’on efface sous le coup des regrets. La vie au jour le jour établit un lien, même si on a pu souhaiter autre chose. Outre les sentiments, le réalisateur fait sentir qu’il ne faut jamais renoncer, parce que malgré ses difficultés, la vie reste miraculeuse. Le film ne verse pas dans le misérabilisme et il fait l’éloge de la beauté, le symbole en étant Yu Nan autour de qui la caméra tourne, sans ostentation. On notera qu’on est dans un film chinois (BO réduite au maximum) et non dans un film américain où l’aspect physique de la maladie serait déterminant : plutôt que marquée, Lily apparaît fatiguée et déprimée.