Cette suite tardive est encore plus faible que le film précédent, Détective privé, car elle souffre davantage de la déconnexion entre le personnage principal et son enquête. C’est parce qu’ici, la vie personnelle d’Harper ne prend pas réellement le relais afin de rendre le film plus engageant.


Il ne consiste donc qu’en une balade à travers la Louisiane, joliment filmée par Gordon Willis mais sous le motif d’un jeu de piste pas bien passionnant. Les révélations progressives, à peine incarnées, tout juste constatées, ne comblent pas notre ennui, d’autant plus qu’elles nous dirigent vers un cul de sac et que le mystère n’est vraiment résolu que dans les dernières minutes (c’est le twist). La pourriture que masque l’argent, l’appât du gain qui écrase tout sur son passage, corruption, trahison… Rien de bien nouveau sous le soleil.


Seul reste donc Paul Newman, toujours aussi charismatique dans son rôle de détective drôle et nonchalant. La légèreté dont font preuve le personnage et l’acteur est bien souvent la seule bouée qui nous est tendue pour ne pas décrocher du film. En plus, encore une fois, de la photographie joliment sombre, mais cette opposition entre les deux éléments les plus engageants du film est justement ce que je regrette le plus.


Car le manque d’enjeux liés au personnage est évitable. Alors que Détective privé possédait une seconde intrigue, celle de l’ex-femme, qui éclairait le détachement qu’Harper manifestait envers la première, celle du crime, La Toile d’araignée renonce à complètement lier le détective et son enquête en repoussant à la dernière minute la mort d’un personnage qu’il connaît intimement. Ça aurait été d’autant plus fort au vu des liens qui unissaient Paul Newman et Joanne Woodward, qui possédaient déjà une longue histoire maritale et cinématographique lors de la production du film. Ici, l’actrice n’est qu’une pauvre riche insatisfaite par son mari et qui picole à l'arrière-plan.


Le livre original ne mentionne pas un passé commun entre Harper et ce personnage, mais il clarifie l’empathie, voire la tendresse, que le détective ressent envers ceux qu’il croise, masquées derrière son humour froid. Cet humour qui, dans le film, devient alors la seule chose à laquelle on puisse s’accrocher. On peut être amusé, mais l’ensemble manque cruellement de tension, et de caractérisation.


C’est pourquoi la fin de La Toile d’araignée, même si elle est similaire à une scène du livre, fonctionne moins bien. Parce que l’implication d’Harper, son désir que les choses soient meilleures que l’état dans lequel il les a trouvées, ce côté profondément humain derrière le détective cynique, n’est pas quelque chose que le film embrasse complètement. Le voir essayer d’agir en ce sens n’a donc pas le poids que ça pourrait potentiellement avoir. De la même manière que le voir lui-même subir des pertes en essayant de faire le bien n’est pas aussi intéressant quand c’est si peu développé.


C’est le vrai problème d’un film construit comme un divertissement léger, alors qu’il s'inscrit dans la continuité d’un genre riche en atmosphère et en poids dramatique. Gordon Willis, lui, a bien compris l’exercice, et teint le film d’une noirceur visuelle que jamais le ton du scénario ne rejoint. Alors qu’il a été écrit au milieu d’une décennie qui a perfectionné l’enquête fiévreuse et paranoïaque, et qu’il aurait pu être un jalon dans l’histoire du film noir, plutôt que la prolongation du côté cool et détaché de son prédecésseur très “swinging sixties”. Il lui manque cette authentique noirceur qu’ont su conjurer Arthur Penn (La Fugue) et Robert Altman (Le Privé), les vrais modernisateurs du genre lors de cette décennie.

ClémentLepape
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le 1 mars 2022

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Clément Lepape

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