Terminus : tout le monde descend

Difficile d'écrire sur ce film à chaud tant le propos du film est âpre. J'ai dû laisser quelques jours (voire semaines ?) passer pour m'y résoudre.

Avant de vous parler du film, je vais rapidement vous raconter sa genèse. Il y a quelques années le CNC a mis en place une bourse à l'écriture pour le film de genre. Quand on pense "film de genre" en France, on a surtout le genre fantastique, horreur ou science-fiction en tête. Normal. Les premiers récipiendaires de la bourse ont d'ailleurs proposé des récits fantastiques. Sur les trois projets retenus, deux sont sortis : La Nuée et Ogre. Je vais pas revenir sur ces deux films, j'ai déjà dit ce que j'en pensais en long et en large ici ou ailleurs.

La deuxième année, le CNC a continué l'expérience film de genre sauf que c'était la comédie musicale ! Gros foutage de gueule de leur part parce que "Gneu gneu quand on dit genre, c'est au sens large". Bref, pour la troisième année ils reviennent avec le "vrai" cinéma de genre et ont sélectionné Just Philippot (La Nuée), Mael le Mée (Aurore) et Nicloux qu'on ne présente plus. Voilà pour l'historique.

Comment faire un film de genre en France alors qu'on a pas le budget ? C'est la question que tente de répondre Nicloux en 1h30. En effet, je pense que la première chose qui se pose lorsque vous faites un film de genre c'est avant tout la question visuelle et sa crédibilité. Bien avant le scénario, la mise en scène, la direction d'acteur et le casting. C'est con à dire mais c'est comme ça. Sans cette volonté visuelle, le film n'existera jamais en tant que "film de genre" aux yeux du public. Pour y arriver, il faut soit du fric soit des gens talentueux à la direction artistique, de préférence les deux. Si on est un peu malin, on peut palier le manque de fric par quelques trucs. Là le réalisateur a recourt à plusieurs d'entre eux.

Le premier est le film a concept. En effet, La Tour part d'un postulat fort et acquis pour le reste du film. On aura donc droit à aucune explication et c'est tant mieux car en général c'est là que les réals se prennent les pieds dans le plat. Ici c'est la question de l'enfermement qui est travaillée et impossible de ne pas penser aux confinements qu'on a tous vécu. En France, on a beaucoup filmé les ensemble HLM de l'extérieur avec presque un regard fantasmé dessus. Je trouve intéressant ici que la caméra se balade à l'intérieur justement. Cela donne de beaux plans séquences lorsqu'on monte ou descend des cages d'escaliers ou bien quand la caméra passe d'un appartement à un autre à travers une percée dans un mur.

La deuxième astuce est celle du huis-clos. On recentrant son récit sur l'intérieur de cette tour, Nicloux s'affranchit de plan d'ensemble en extérieur qui aurait été trop complexe à mettre en place pour garder cette crédibilité visuelle justement. C'est là que la direction artistique prend tout son sens car il y a eu un gros travail sur les décors du film ainsi que la lumière pour rendre l'ambiance de plus en plus oppressante. En effet, on ne peut que souligner le travail d'éclairage sur le film qui part du principe d'une extinction d'abord des lumières puis générale. C'est en effet le cœur du récit : comment nous, humains, on gère cette extinction toute proche et visiblement prématurée ? Ici Nicloux tire a boulet rouge sur le réflexe communautaire et en montre les dangers. Mais à la fois son aspect très naturel. Il y a d'ailleurs une belle séquence filmée avec un léger travelling arrière où Hatik annonce les règles de ce nouveau monde.
Il y a eu beaucoup de films, notamment fantastiques, qui ont regardé vers la jeunesse des cités dans les années 2000. Pour la plupart, ce sont des films qui ont malheureusement mal vieillis. Ici Nicloux navigue en eaux troubles car les dialogues de certains de ses personnages vont hérisser les poils du politiquement correct. En même temps, difficile de faire un film consensuel sur la fin du monde. Il y a quelques personnages qui souffrent d'un traitement caricatural trop appuyé ou bien à l'articulation approximative mais on a dans l'ensemble quelqu'un qui sait diriger ses (jeunes) comédiens. Cela faut d'ailleurs plaisir de voir des visages qu'on a pas l'habitude de voir.

La troisième astuce c'est l'ellipse. Le récit propose plusieurs bonds dans le temps de plus en plus important. C'est un procédé qui est très intéressant et bien utilisé car il renforce complètement l'abattement. De plus, tout le film est basé sur un tempo qui accélère. Ça nous l'est constamment rappeler par une bande son rythmé qui sait s'imposer et se mettre en retrait lorsqu'il le faut. D'ailleurs, on pourrait revenir sur celle-ci tant je trouve qu'elle est efficace. Toujours sur ce crescendo par lequel la narration est mue, les personnages sont constamment en mouvement. On monte, on descend, on court, on marche. Mais pour aller où ? C'est d'autant plus déprimant que l'on sait d'emblée ceux-ci sont déjà morts (pas littéralement). Ainsi, toute cette agitation ne fait qu'accélérer l'inévitable comme une proie qui ne peut s'empêcher de convulser dans la gueule de son prédateur. Pour revenir sur les ellipses, c'est un tour de force de raconter une histoire aussi dense sur seulement 1h30. Celles-ci permettent d'alléger le récit en supprimant le superflu tout en rendant l'histoire encore plus inéluctable.

Pour finir, La Tour est sûrement une belle preuve du récit fantastique à la française. En effet, beaucoup s'attendent à ce que le cinéma français prennent le tournant américain ou coréen en matière de genre. Hors de ce n'est pas possible car ce n'est pas dans notre histoire de faire des films comme ça. Bien évidemment, c'est surtout une question de moyen, mais je pense également qu'in fine il s'agit surtout d'un rapport qu'on a avec le cinéma.
Guillaume Nicloux arrive à faire un film cohérent, sombre (dans tous les sens du terme de ce mot) qui dissèque notre société. Assurément un film qui résistera à l'épreuve du temps.

Alcalin
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le 18 sept. 2022

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