Good guy Gabin

La traversée de Paris est un bon film, mais le revoir adulte pose tout de même un problème. Il semble, chose qui nous échappe quand on est enfant, que Autant-Lara fait tout son possible pour rendre un sale type le plus sympathique possible. Sans le charisme de Jean Gabin, cela aurait été imbuvable. Il incarne un peintre qui s'ennuie, et souhaite s'encanailler. Lorsque, à la suite d'un triple malentendu Martin (Bourvil) lui propose une affaire juteuse, il se dit, eh bien pourquoi pas. Et voilà les deux compères sillonnant Paris, et Grandgil critiquant toute cette fameuse France qui aurait été résistante. Sauf qu'il ne risque pas grand chose, lui, le bourgois parlant allemand, il peut toujours sympathiser avec l'officier allemand. Salauds de pauvres, éructe-t-il lors d'une scène d'anthologie. Salaud de riche, pourrait-on dire, insoucieux des conséquences y compris pour Martin qu'il apprécie pourtant, comme archétype du peuple un peu benêt, mais honnête, forcé de participer au marché noir parce qu'il faut bien vivre. Oh, certes, il essaiera bien de l'inclure avec lui, qui ne risque pas d'être raflé, mais il ne faudrait pas non plus se fâcher avec l'occupant, tout de même. Ben dame, entre bourgeois.

Vraiment, en revoyant le film aujourd'hui, je me demande comment on a pu considérer Autant-Lara comme un réalisateur de gauche. Mais peut-être y croyait-il lui-même? La fin enfonce pourtant le clou. La dernière rencontre entre Grandgil et Martin montre que l'occupation c'était bien beau, mais l'ordre établi n'en a pas été chamboulé pour autant, chose à mettre au crédit des bourgeois et officiers raisonnables, bien sûr. L'un part dans le train, l'autre reste, la rencontre entre ces deux personnes trop dissemblables n'est pas tellement possible.

Il y a l'étoffe d'un grand film dans la traversée de Paris : si le virage noir avait été pris lors de la confrontation avec les allemands. Christian-Jaque, dont la carrière pourtant énorme aura à pâtir de l'épuration, réalisera avec Le repas des fauves un film autrement amer, renvoyant tout le monde dos à dos.