Lorsque Polanski s’empare de La Vénus à la fourrure, c’est tout un programme qui s’annonce, et nul doute que les attentes sont grandes. Dans l’esprit de son opus précédents, il choisit donc la médiation du théâtre pour traiter le sujet, et c’est sans doute le parti-pris le plus séduisant de son film. Huis clos à deux personnages, dans un décor qui ne cesse de rappeler l’artificialité de toute l’entreprise, il est autant une plongée dans les origines du masochisme qu’une réflexion sur l’adaptation et la lecture sereine d’une mythologie séculairement fantasmée.
Cet univers carcéral et oppressant est restitué avec brio. D’abord par les comédiens, qui se font visiblement plaisir avec les circonvolutions de la mise en abyme ; Amalric en metteur en scène initié à l’art du jeu, puis forcé à l’impudeur de la confession. Seigner, brillante et toute en jubilation, oscillant entre vulgarité, domination et majesté glacée d’érotisme.
L’évolution des échanges, finalement prévisible, a pour mérite de s’affranchir de la linéarité didactique. La scène devient instable, et tangue au rythme incertain, tout entier dicté par la femme, des échanges entre personnes ou personnages, dans une sorte de marivaudage qui se serait dépouillé de sincérité. Car tous deux brouillent les pistes, se cachent derrière la licence littéraire ou les identités multiples, provoquent et se rétractent, flirtent et reculent.
Le grand intérêt de cette valse lente et d’accorder la primauté au texte : Polanski pousse jusqu’au bout le principe du jeu théâtral : les coups, les baisers, l’humiliation ne sont toujours simulées. Seigner, de ce point de vue, réussit le tour de force devenu rare de teaser pendant une heure trente, déployant une sensualité d’autant plus intense qu’elle explose régulièrement en plein vol, sans jamais aller jusqu’à son terme.
Enfin, la véritable intelligence du film provient aussi de toute la dérision dont il s’accompagne. La musique, habile contrepoint des échanges, indique dès l’ouverture le recul du metteur en scène sur son sujet. La grossièreté des coïncidences sur l’identité et l’étendue de la connaissance de Wanda, la pertinence de ses remarques sur les distances à prendre par rapport au livre originel, le ridicule croissant du metteur en scène qui ressemble de plus en plus à Polanski lui-même, tout contribue à un sourire entendu.
Subtile réflexion non dénuée d’humour sur le fantasme et ses limites, le grotesque et l’artificialité mythologique des pulsions sexuelles, cette Vénus a tous des dieux contemporains qui poussent autant à la distanciation lucide qu’à la vénération.