Eddie Vuibert,jeune chômeur parisien au bord de finir à la rue,est à la suite d'un concours de circonstances secouru et embauché par Victor Benzakhem,un des grands manitous de la fringue dans le quartier du Sentier.Rapidement Eddie,travailleur et malin,gravit les échelons dans l'entreprise,se fait des amis dans la galaxie séfarade du quartier et commence à séduire Sandra,la charmante fille de son patron.Tout va donc pour le mieux,à part un léger détail:tout le monde le croit juif alors qu'il ne l'est pas,et les goys ne sont pas en odeur de sainteté dans cette petite communauté.Pour son troisième film,le réalisateur Thomas Gilou poursuit dans la veine de la comédie ethnique qui l'avait vu s'intéresser aux noirs dans "Black mic-mac" et aux arabes dans "Raï".Plus tard il s'occupera des latinos avec "Chili con carne" et reviendra chez les juifs pour deux suites à "La vérité".Le film est produit par Vertigo,la société de Farid Lahouassa,Aissa Djabri et Manuel Munz,alors que le scénario est l'oeuvre de Gérard Bitton et Michel Munz.Gérard Presgurvic a composé une excellente musique opportunément relayée à l'occasion par des tubes bien choisis comme le "Stayin'alive" des Bee Gees,"Où sont les femmes?" de Patrick Juvet ou le délicieux "Viens à Juan-les-Pins" de Bob Azzam sur le générique de début.Tous ces films de Gilou pourraient-ils exister en cette ère de censure et de tensions communautaires qui est la nôtre?En tout cas,ce qui empêche "La vérité" d'être cloué au pilori est sans doute le fait que ses auteurs Munz et Bitton soient juifs.Parce que les clichés sur les séfarades,ces juifs pieds-noirs issus d'Afrique du Nord,sont carrément de sortie.Obsession de la réussite,de la fortune,des affaires,de l'argent,de la tchatche,de la frime,du paraître,du bling bling,de la fête.Le portrait est pourtant équilibré car le scénario va au-delà des apparences et les décrit également sympathiques,drôles,solidaires et généreux intra-communautairement.Car c'est là qu'intervient la principale critique de ce milieu,le repli identitaire et le racisme ordinaire touchant ses membres.Les auteurs,tout en restant dans les clous de la comédie pour mieux faire passer la pilule,n'hésitent pas à montrer des juifs tout aussi discriminants que peuvent l'être d'autres ethnies.Mais le message reste optimiste et démontre que l'amour et l'amitié peuvent venir à bout de tous les a priori.Pour le reste,la comédie fonctionne admirablement bien.Certes,les coups de bol à répétition dont bénéficie Eddie sont vraiment très gros,mais il fallait bien trouver le moyen de faire évoluer le personnage et avancer l'histoire,d'autant que la profusion de protagonistes traités en profondeur mange du métrage.Gilou filme à hauteur d'homme et immerge parfaitement le spectateur dans un environnement de rues parisiennes crades et populaires,de bars et de restaus surpeuplés,c'était le monde d'avant,d'entrepôts textiles où se nouent les affaires,de boîtes de nuit et de villas de luxe.En outre,si Eddie est au centre de l'histoire,les autres ont tous des arcs narratifs à la fois amusants et intéressants,sans que tout ça ne tourne jamais à la pagaille.Tous sont pleins de défauts mais aussi plein de qualités qui au final les rachètent,y compris le héros qui,loin d'être irréprochable,pratiquera le mensonge et la trahison pour satisfaire son ambition,même si c'est dans le seul but de conquérir sa belle,qu'il juge inaccessible s'il n'est ni juif ni riche.Le rythme ne faiblit jamais,aucune scène n'est inutile et chacune relance l'action,le drame vient souvent frôler la rigolade et les interactions fonctionnent à merveille.Une superbe bande d'acteurs a été réunie et la discrimination est là encore bannie puisqu'on a des juifs qui jouent des juifs,mais également des goys qui jouent des juifs,et le personnage principal est un goy joué par un juif!Richard Anconina,un peu dans le potage à l'époque,se reprend magnifiquement avec ce rôle de loser sur la pente ascendante auquel il prête son sourire craquant et son imperturbable air naïf.Richard Bohringer assure en entrepreneur à l'ancienne,dur mais juste,qui se prend d'une affection paternelle pour ce jeune paumé,un peu à la manière de Coluche pour le même Anconina dans "Tchao Pantin".Amira Casar,belle et très classe,sait être émouvante en fille plus simple que son statut ne pourrait le laisser croire.Vincent Elbaz explose l'écran en dragueur solaire piégé par l'amour qui se prend d'une indéfectible amitié pour Eddie.Aure Atika,sublime comme toujours,est la femme infidèle prête à tout pour ramener Dov dans ses filets.Elie Kakou fait un numéro exceptionnel en gentil cocu dépassé par les évènements.José Garcia,dans le rôle de Serge,est une des révélations de l'étape et nous régale en affairiste raté,le boulet de la bande éternellement branché sur des plans en or complètement foireux.Bruno Solo devait jouer Eddie mais,trop peu connu à l'époque,a été écarté et assigné au personnage d'Yvan,le prénom de son pote Le Bolloch,intervenant secondaire et séducteur malchanceux dont la propension à répéter tout ce qu'on lui dit aura son importance.Gilbert Melki,absolument inconnu alors et tournant seulement son deuxième film,lance sa carrière avec fracas en incarnant le milliardaire providentiel Patrick Abitbol dans une performance de très haut niveau.Anthony Delon,qu'on a finalement peu vu au cinéma,est fantastique en jet-setteur prétentieux et perfide qui perdra tout dans l'aventure.Belles apparitions dans des petits rôles de Roméo Sarfati,Victor Haïm,Valérie Benguigui,Gladys Cohen et Isaac Sharry.