Un film qui ne plaira pas complètement à Yann Moix

(La veuve Couderc, Pierre Granier-Deferre, drame, 1971.)


Maigret n'est pas le seul personnage de Georges Simenon porté à l'écran. En effet, le roi des « histoires belges », avec plus de 350 récits, a offert la base scénaristique d'une quarantaine de films (les Maigret avec Gabin ou Michel Simon, l'Etoile du nord, Le président, Le chat etc.). La veuve Couderc, tiré du roman du même nom est un film signé Pierre Granier-Deferre (1927-2007) dans une manière de réaliser très marquée par la rigueur des réalisateurs antérieurs à la nouvelle-vague. Il n'empêche qu'il adresse un message à la société des années 70 qui acceptent assez mal les modèles s'écartant des schémas traditionnels.


Un jeune homme ( Alain Delon ) marche seul sur les routes de France. Le visage fermé, il avance et croise sur son chemin une femme d'une cinquante d'années ( Simone Signoret ). Elle revient de la ville où elle vient d'acheter une couveuse à pétrole. Le vagabond lui propose de porter l'objet jusque chez elle. Pour le remercier, elle lu paie la goutte et lui propose de rester quelque jours pour travailler, celui-ci cherchant justement à louer ses bras pour quelques argents au fil de ses pérégrinations.
La veuve vit de l'autre côté du pont (nous y reviendrons.) dans la maison de son mari décédé avec son beau-père ( Jean Tissier ) quasi-sourd. Très vite, nous savons que la ferme qu'elle habite est l'objet de la convoitise de sa belle-soeur, l'éclusière, la sœur de feu son mari qui ne l'accepte pas. En effet, la veuve Couderc est une sorte de paria dans la famille. Fille de maison de la famille Couderc, elle tombe enceinte du fils. Les deux amants se voient, comme il était d'usage, contraints de se marier. L'enfant qui naîtra ne survit pas, et ainsi elle passe sa vie, s'occupe de tous les membres de la famille dans un endroit où, quand elle entra, elle ne pensait pas rester. Alors, quand sa belle-soeur fait tout pour l'exproprier, elle voit rouge. Légitimement, elle considère que cette ferme, c'est chez elle, qu'elle l'a mérité tant elle a versé de sueur sur cette terre.
Alors, sur ces « canonnades notariales », un triangle amoureux naît. Jean (Alain Delon) se prend de passion pour la nièce de la veuve, une jeune mère célibataire, légère, mais aussi pour la veuve. Et c'est l'axe le plus intéressant du film, puisqu'il pose des questions légitimes et qui peuvent déranger. Très vite, la rumeur circule dans le village, qu'en plus d'être le manouvrier, il est aussi l'amant de la veuve. Or, dans une société sclérosée sur le plan des mœurs, il n'est pas tolérable qu'une femme seule, veuve de surcroît et âgée, puisse se laisser aller à des amours physiques et des amours tout court. Elle devrait vivre dans l'éternel souvenir de son défunt mari, puisqu'elle a juré fidélité dans la vie comme dans la mort, rien ne garantissant la concomitance des deux.
Mais Alain Delon est Alain Delon, certes, mais il n'en reste pas moins un homme. Évidemment, il tombe sous le charme de la jeune fille et la séduit. La veuve l'apprend, et le vit comme une trahison, car déjà, elle jalousait sa vie où elle se jette de bras en bras, alors qu'elle se meurt dans sa solitude.
Je vais me priver de vous dévoiler la fin aussi belle que dramatique de ce film que je vous laisse le soin de découvrir si vous ne la connaissez pas déjà.


En revanche, je vais revenir sur la symbolique du pont. J'imagine que ce pont est le symbole de la séparation, de l'exclusion de la veuve Couderc du reste de la société. C'est un pont mobile qui se lève et s'abaisse et cette femme vit seule de l'autre côté, avec un vieillard et un repris de justice (oui, Jean est un évadé du bagne.). Les seules fois où des personnes traversent, c'est aussi des personnes mal acceptées de la société : soit la jeune mère célibataire et le père de celle-ci, réputé fainéant et alcoolique. À part cela, seuls les gens de loi viennent, car la loi, en principe, englobe tous les citoyens.
Ainsi, les parias les fardeaux se trouvent de ce côté. La femme forte qui souhaite se libérer et s'affirmer qu'incarne Simone Signoret est ainsi aussi mal vue dans le temps du film, les années 30, que dans la société des années 70, ou la femme est encore pas mal cantonnée au rôle de la mère ou de la subordonnée. La société déteste les femmes fortes, et le cinéma ne les aide pas, elles sont montrées dures, méchantes. Ici, Simone Signoret, montre bien à quel point il s'agit d'une armure, pour tenir face aux rumeurs et à la méchanceté des autres.
La mère-célibataire, qui jouit pleinement de la liberté de faire ce qu'elle veut dans son corps traverse très régulièrement, ce qui prend un relief particulier quand on replace le film dans son temps, il sort 3 ans après 68 où les femmes affirment le droit de disposer de leurs corps. Ainsi, ces traversées régulières tendent à montrer une forme d'acceptation par ce qui serait « le bon côté » du pont.
Enfin, le vieux dans l'avant-guerre, c'est la figure par excellence du paria, du pauvre, du fardeau. L'Etat ne garantit pas de rente pour la retraite, et c'est à la charge du citoyen de constituer de quoi pouvoir s'arrêter de travailler. Souvent, il reste à la charge des familles ou est placé à l'hospice, dernière étape avant la mort. Honnêtement, je n'ai pas l'impression que la situation des personnes âgées n'est pas nécessairement mieux lotie, malgré tous les discours sur "respectons nos anciens", etc. Oui, dans les mots, on sacralise les personnes âgées et la portée de leur parole, mais dans les faits, une fois devenus trop lourds à assumer, les enfants le mettent en EPHAD et les petits-enfants ne les invitent plus pour Noël. Alors, seuls, avec la photo de famille posée sur la table de chevet en merisier, le vieux tableau du salon et quelques napperons qu'arboraient les meubles de la vie d'avant, le vieux s'endort de l'autre côté du pont.


Bref, dans un film fait « à l'ancienne », on peut en dire des choses, et même aimer des femmes de plus de 50 ans. 9/10.


Signé Sarrus Jr.

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le 7 avr. 2020

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