Rarement satire du colonialisme (mais en existe-t-il beaucoup?) n'a paru aussi insolente. Au-delà de la caricature qui tourne en dérision les quelques français du film, la justesse et la pertinence du propos sont évidentes qui rappellent la domination honteuse de la France sur ses colonies africaines.
Lorsqu'ils apprennent, avec bien du retard, en 1915, que la métropole est en guerre contre l'Allemagne, les colons d'un petit coin perdu dans la savane manifestent un patriotisme belliqueux dont la population indigène fera principalement les frais. L'ennemi allemand, avec qui on cohabitait paisiblement, est à quelques encâblures sur la frontière camerounaise, et répondra brutalement à l'attaque inconsidérée de ses voisins français. Ces derniers, bravaches inconséquents et bientôt dépités, se retranchent derrière une troupe hétéroclite vite décimée puis derrière les conseils judicieux de Fresnoy, l'instituteur. Cet homme de gauche, intelligent et pacifiste, méprisé à cause de cela, n'est pourtant pas épargné par l'ironie pamphlétaire des auteurs. Car Fresnoy, qui n'a aucun mal à affirmer sa supériorité sur ses stupides compatriotes (militaires, commerçants, religieux) se prend au jeu insidieux du pouvoir et succombeaux charme du totalitarisme et de l'impérialisme.
Plus loin que la signification du sujet de l'exploitation des indigènes, plus loin que les portraits très drôles qui tirent le film vers la farce tragique, Jean-Jacques Annaud expose bien plus qu'une situation anecdotique: il met en scène tout simplement la bêtise humaine universelle à travers les paroles et les actes de fanfarons ridicules. Son film
lui a valu un oscar mais sans doute pas la sympathie d'un certain nombre de français...