Tragédie vécue - La Vie comme ça [Spoilers]
"La Vie comme ça" possède un aspect assez primitif derrière lequel se cache déjà la maîtrise thématique de Brisseau. Par primitif il faut entendre la faible qualité de l'image et du son, dus cependant en grande partie à la qualité de la pellicule, ainsi que quelques éléments de montage, notamment le mixage final qui laisse parfois à désirer - quelques passages au son difficilement audible en raison de personnages éloignés et de bruits parasites -. Néanmoins le second film de Brisseau, produit par l'INA après la réussite de La Croisée des Chemins, est une entrée en matière nécessaire pour la perception du reste de sa filmographie. Il y dépeint déjà le malaise grandissant d'une jeunesse ratée, vouée dès la sortie de l'école à se soumettre au système social, dans un contexte de montée syndicale au sein d'une entreprise du domaine tertiaire. C'est en connaissance de cause que le réalisateur nous plonge ainsi dans un environnement aussi désolé, rappelons qu'il y a enseigné plusieurs années, en parallèle de ses sept premières réalisations.
C'est l'une de ses actrices fétiches, la jeune Lisa Heredia – admirée par le réalisateur - qui se voit attribuer le rôle principal : l'incarnation d'un personnage fictif, Agnès Tessier, illustrant par un extrait de sa courte vie la difficile survie des générations HLM. Par soif de liberté et d'indépendance, blasée par les cours bruyants du lycée, elle décide de se consacrer à sa vie d'adulte, s'installe avec une amie – ses relations avec elle resteront troubles – dans une barre de Bagnolet, abandonnant par la même sa génitrice. Pilier de la réflexion de Brisseau, Agnès Tessier est la concrétisation de cette jeunesse défavorisée et perdue d'avance, plongée dès sa naissance dans les soucis des aînés, et qui souvent ne trouve pas la force de mettre fin à cette souffrance muette.
Esthétiquement parlant, "La Vie comme ça" reste un petit film amateur, enfermant toutes les situations filmées dans une grisaille à grains épais, lui donnant malgré tout un certain charme. C'est peut-être l'unique film du réalisateur qui ne comprenne ni séquence d'onirisme, ni plans érotiques. Plus proche du documentaire fictionnel – que l'ouverture laisse à penser – que d'un réel film intimiste auquel Brisseau nous habituera plus tard.
La force de cette œuvre réside donc un peu partout et nulle part à la fois, tant dans ses interprétations parfois naïves, parfois profondément touchantes - en particulier le rôle du concierge - que par ses dialogues, qui paradoxalement plongent la réalisation elle même dans une sorte de malaise ambiant, accompagnant alors à la perfection la thématique abordée, tellement déprimante, mais si justement traitée.
"La Vie comme ça" semble d'un naturel fascinant, comme si l'oeuvre s'était filmée d'elle-même, malgré le poids de ses accusations.