'' Attends, attends, un petit instant – le méchant tueur vient à son heure – il fera un gâchis – il fera du hachis de toi ! '' Cette courte comptine inventée par les enfants en dit long sur le statut de M le Maudit dans la ville. Bien renseignés sur l'affaire, les plus jeunes s'emparent des actes du meurtrier et les réduisent à un simple jeu, à une traque amusante d'autant plus angoissante qu'elle effraie les adultes. Principaux concernés car principales victimes de l'assassin, ils n'en sont pas moins naïfs pour autant. La petite Elsie ira même jusqu'à allier le jeu et la réalité en pleine rue, en faisant rebondir son ballon contre l'avis de recherche du meurtrier.
La séquence introductive illustre parfaitement le degré de maîtrise du chef d'œuvre de Fritz Lang. Magistralement traitée, l'intrigue pourtant simple apparaît fluide et sans accrocs. Cette netteté est principalement due à l'utilisation remarquable des raccords – sonores ou visuels – et du son, véritable personnage évoluant en duo avec le meurtrier. En effet, c'est par la chanson des enfants que nous apprenons l'existence de cet être infâme, et le leitmotiv siffloté par l'assassin permettra à un aveugle de le démasquer. Dans la même veine, on ne peut oublier cette longue séquence quasi-silencieuse évocatrice de la disparition de la petite Elsie.
Sans âge, sans activité professionnelle connue et sans appartenance particulière à telle classe sociale, le meurtrier semble capable de s'attaquer à n'importe quelle petite fille. L'affaire dérange toutes les strates de la société, depuis le simple voyou, entravé dans son commerce par les rafles incessantes de la police, jusqu'à la riche bourgeoise en fourrures attendant son enfant devant la porte de l'école, en passant par l'ouvrier en constant travail, tenaillé par la peur. La menace est partout : les klaxons puissants dans la rue, des recoins sombres des allées, les mouvements de foule, et même la police d'écriture de l'avis de recherche ainsi que la forme du ballon acheté par le meurtrier.
Sous l'emprise de la psychose, les soupçons vont bon train, et le cercle vicieux de l'angoisse se referme sur les habitants. Parallèlement, l'enquête patine, les indices sont peu nombreux et les recherches restent vaines. Les témoignages contradictoires, les perquisitions non approfondies et les tentatives de monnayer les éventuels indices sont autant de situations embarrassantes pour les forces de l'ordre. Inefficace, huée, la police ne repérera le meurtrier que bien trop tard. Une milice composée de membres de la pègre s'organise alors pour pallier à ce manque d'activité. Sous la houlette du rigide Schränker, la moindre rue est surveillée par un mendiant, et l'assassin est vite démasqué.
Loin d'aborder des sujets complexes ou philosophiques, la force de l’œuvre de Fritz Lang réside principalement dans une grande maîtrise du son et des interprétations. Le visage boudiné du meurtrier, ses mimiques et son regards assassin donnent au personnage un caractère à la fois vulnérable et dangereux, envers lequel le spectateur pourra presque éprouver de la pitié lors de son ultime jugement. M le Maudit fait partie de ces films obsédants où la source de l'obsession est si bien cachée qu'elle reste un mystère.