La vie est belle par reno
Frank Capra n'est certainement pas un grand créateur de forme. Nul ne saurait mieux que lui incarner le classicisme hollywoodien, aucun film mieux que La vie est belle. Lorsque vous grattez la surface de n'importe quel chef d'œuvre américain de cette époque, vous ne manquez pas d'en être gratifié par la découverte d'une profondeur dissimulée qui fait que le film, par delà son classicisme ouvre sur autre chose – bien souvent, revers du code Hays qui hante la production cinématographique américaine des années 30 à 60, la sexualité et le désir en sont les enjeux majeurs, nécessairement masqués. Chez Capra, rien ! L'image ne dissimule rien, le propos est absolument transparent et il n'est pas jusqu'au fondement même de construction du film qui ne participe d'une naïveté foncière. La vie est belle énonce les principes d'une morale établie, millénaire dont la loi du talion est la base (la générosité que George Bailey témoigne envers tous, lui est « payée » comme l'est l'agression qu'il commet sur la personne de l'institutrice, par un coup de poing à la mâchoire.) Dans cet algèbre simpliste se lit le pragmatisme d'un vivre ensemble qui est le grand thème de Capra. Dieu te le rendra, oui, mais par l'intermédiaire de la communauté avec laquelle tu vis. Capra n'est ni un mystique ni un théologien, c'est un américain. Sa pensée, si elle est issue de la Bible, n'en est que plus directement le pur produit du rêve américain et c'est ainsi que l'ange lit Mark Twain.
Nulle profondeur, donc. Et c'est en peine que le critique se trouve d'en dire quelque chose. Nombreux sont les films, hélas ! devant lesquels on lutte pour trouver tant soit peu, tellement leur nullité nous consterne. Or devant La vie est belle c'est exactement le contraire. Convaincu d'abord d'avoir à faire à un chef-d'œuvre au sortir de la salle, la faiblesse du propos met mal à l'aise l'esprit critique. Truffaut, à propos de La soif du mal écrivait : « Il y a le cinéma que pratique des imbéciles qui sont aussi des cyniques [...], destiné à flatter le public qui sort de là en se sentant meilleur ou plus intelligent. Il y a le cinéma intime et fier que pratiquent sans compromis quelques artistes sincères et intelligents qui, ne méprisant pas le public, aiment mieux l'inquiéter que le rassurer, le réveiller que l'endormir. En sortant de Nuit et brouillard d'Alain Resnais, on ne se sent pas 'meilleur', on se sent pire. En sortant de Nuits blanches ou de La soif du mal, on se sent moins intelligent qu'en entrant mais comblé cependant par tant de poésie et tant d'art. [...] C'est un film qui nous humilie un peu parce qu'il est celui d'un homme qui pense beaucoup plus vite que nous, beaucoup mieux, et qui nous jette à la figure une image merveilleuse alors que nous sommes encore sous l'éblouissement de la précédente. »
Eh bien, sortant de La vie est belle, vous n'avez ni la sensation d'avoir eu affaire au film d'un homme plus intelligent que vous ni l'impression de vous sentir vous-même plus intelligent, et pourtant vous êtes éblouis, dans leur simplicité évidente, manifeste, par les images ! C'est que définitivement il est des films qui sont de grands films (je déclare cela à mon corps défendant) et qui ont le mérite de n'avoir rien à faire avec l'intelligence !
Tout le talent de Capra est celui d'un compositeur sachant à la fois composer de très belles images, purs signifiés, sachant aussi les monter en un rythme qui est l'expression même de l'enthousiasme. Dans l'imitation de la vie, Capra se nourrit d'une capacité rare à être juste, c'est-à-dire métré. Il y a chez lui un sens de la mesure où le temps imparti à chaque scène, où le mètre du phrasé, où l'espace du cadre rend justement le mouvement de la vie. Pour autant son cinéma n'est pas un cinéma de l'illusion, pas dans La vie est belle, en tout cas. La vie nous y est rendue magnifiée et si elle est encore la vie, c'est en un sens presque thomasien, c'est-à-dire, la vie en un sens éminent. Tout y est contenu et par conséquent densifié. On passe continuellement du rire aux larmes et cette alternance est le battement même qui donne son rythme au film qui emporte du coup notre adhésion. Si vous ajoutez à cela la classe de James Stewart et le charme de Donna Reed (à chaque fois, sa première apparition me confond en un état où se retrouve l'expression béate de l'arriéré congénital), je vous laisse supposer combien il est incontestable de ranger ce film parmi les plus réjouissantes expériences de cinéma.
C'est que ce film est le triomphe absolu de la joie !