Enfin de belles nouvelles de Saint-Denis ! Le Collège des Francs-Moisis existe, implanté dans le quartier du même nom, et nommé, dans la réalité, Collège Federico Garcia Lorca. Mehdi Idir, le co-scénariste et co-réalisateur en compagnie duquel Grand Corps Malade signe son deuxième film - tout comme son premier, « Patients » (2017), tourné avec la même équipe technique -, y a effectué une scolarité tourmentée, et l’établissement, au cœur d’une cité, est de fait connu comme difficile. Pourtant, il jaillit de ce contexte pudiquement accolé de l’épithète « défavorisé » un film bouillonnant d’énergie et ensoleillé d’espoir...
La réalité n’y est toutefois pas travestie et saute au visage, dans son indomptabilité parfois inquiétante, comme lorsqu’une classe d’élèves particulièrement agités assaille un enseignant de ses boutades et joue verbalement avec lui comme s’il s’était métamorphosé en ballon, en le relançant de l’un à l’autre élève sans plus lui accorder le temps de répondre ni de tenter de juguler leurs saillies. Ou encore lorsqu’un professeur (Soufiane Guerrab), pourtant aussi efficace qu’apprécié, reconnaît auprès de l’un de ses collègues (Antoine Reinartz) que la lutte qu’ils mènent pour sauver leurs élèves n’est peut-être pas de taille, face à un contexte qui les submerge...
Raison de plus, enchaîne-t-il aussitôt, pour ne pas baisser les bras. Et c’est cette belle énergie rédemptrice qui traverse tout le film et vient illuminer son message. Illustrant le titre - le poste de CPE (Conseiller Principal d’Education) revenant au responsable du bureau « Vie Scolaire », l’ancien « Surveillant Général » s’étant vu débaptisé de cette désignation sans doute jugée trop carcérale, dans le cadre bien contemporain de l’euphémisation de toute chose... -, c’est une figure féminine, Samia, CPE du lieu et aussi rigoureuse dans sa mission éducative que bienveillante dans sa fonction salvatrice, superbe Zita Hanrot, qui incarnera avec le plus de conviction et d’efficacité ce rôle délicat, doublement polarisé, pendant que l’un des surveillants (Alban Ivanov) placés sous son autorité chavirera dans une proximité insuffisamment bordée auprès des élèves.
Un élève singulier, Yanis, interprété avec beaucoup d’authenticité et de sensibilité par le jeune Liam Pierron, émerge de la petite troupe sympathique : adolescent au parcours familial douloureux, meurtri, présentant une secrète parenté avec la situation personnelle de Samia. Le genre d’élève qui va achever de donner sens et de motiver un engagement professionnel, quelle que soit l’issue du combat...
Le tout est subtilement, savamment dosé, souvent criant de vérité, mêlant rires et moments de gravité, enthousiasme et moments de découragement. On peut seulement regretter quelques blagues un peu lourdes ou insistantes, qui n’ajoutent rien au film et le desservent au contraire, d’autant qu’elles sont parfois reprises par la bande annonce ; dans quel but ? élargir à un hypothétique public ? Bien heureusement, elles sont très circonscrites et volent peu de secondes à la globalité du long-métrage, ne lui ôtant rien de sa très précieuse singularité, surtout si l’on songe au catastrophique « Entre les murs » (2008). Autant le film de Laurent Cantet réussissait la contre-prouesse de caricaturer aussi bien les élèves que les professeurs, autant ce nouvel opus du duo Idir-GCM éclaire avec délicatesse et humour, sans emphase, la grandeur de ce qui se joue au collège : ni plus ni moins que le destin de ceux qui pénètrent enfants dans ces établissements et en ressortent adolescents, c’est-à-dire plus si éloignés des adultes qu’ils seront. Autre élégance : Grand Corps Malade, dont les talents musicaux sont connus, a confié la musique à Angelo Foley, dont la partition discrète et un brin nostalgique souligne la gravité des enjeux, malgré le ton d’apparence joyeuse.
A la réflexion, on peut s’étonner que soit ici si radicalement écartée la question de l’islamisation galopante qui menace les banlieues et a offert à Saint Denis, après sa basilique, une nouvelle notoriété, si tristement sanglante, sur fond de fusillades dans des immeubles et de traque des djihadistes ; et cela, alors que l’entreprise, voilée de religion, fait volontiers main basse sur les élèves ne parvenant pas à trouver un sens à leur scolarité et entre, sur ce point, en concurrence directe avec les enseignants. Mais on peut supposer que cet évitement est mûrement pensé : d’une part car un problème si profond et si grave ne saurait être traité de manière latérale, d’autre part car cette mise à l’écart, ce silence sont peut-être les meilleures réponses à une entreprise prosélyte qui ne cesse de tenter d’occuper le devant de la scène, permettant ainsi un recentrage sur une problématique exclusivement scolaire, républicaine et laïque.