En lisant les interviews de Grand Corps Malade au sujet du film, on en perçoit les écueils. Toutes les idées avancées aussi intéressantes soient-elles souffrent en effet d’un empilement gênant.
La mise en scène avec ses procédés de travelling et dézoom novateurs (utilisation du drone pour la scène finale) confère au film un côté un peu maniéré qui était franchement évitable. J’en veux pour preuve deux scènes stéréotypées (où les réalisateurs sont davantage dans le savoir-faire cinématographique que dans l’émotion comme avec ces champs-contrechamps décentrés) à savoir le plan-séquence du chemin menant au collège et également ce montage parallèle des deux soirées, où les gestes des profs sont construits en symétrie par rapport à ceux des élèves. Ce type de scènes, qu’on retrouve très souvent dans le cinéma contemporain, agissent à mon sens comme des freins catégoriques à l’émotion. Si l’on plonge précisément dans l’œuvre, on se rend compte qu’elle s’éparpille beaucoup dans des choix de mise en scène qui sont plus proches d’un catalogue de registres que d’une vision précise, d’un angle d’attaque fort.
Ce reflet de vie collégienne, que le duo de réalisateurs a voulu proche de ses propres souvenirs, n’est bien qu’un reflet et non une réalité tant il est teinté de tendresse. Les élèves sur lesquels on se focalise (mais aussi et surtout la CPE) s’expriment d’une voix douce et pure et sans cette agitation pouvant caractériser un collège de REP. La vie scolaire, touchée par la grace elle aussi, apparaît comme un sanctuaire de tranquillité particulièrement invraisemblable pour qui connaît même si notre attention est au départ attirée par les situations ubuesques qui s’y déroulent.
Le point problématique se situe par conséquent dans la volonté des réalisateurs de ne pas choisir de rythmique majeure. La délicatesse des dialogues, cette tonalité suave place, on pourrait le croire au début, le film du côté du conte ou de la fable. Les personnages sont quelque peu manichéens et doivent souvent trancher des situations binaires. De même les dialogues au parloir et dans le bar (tout droit sorti des années 80/90) participent de cette ambiance à la fois candide et hors du temps. Hélas, (les interviews le révèlent) : le projet de totalité visant à toucher tous les publics ne peut être satisfait par cette seule vision du conte et de la fable. Très vite, la comédie (qui est un choix pourtant judicieux pour traiter du sujet) prend le pas sur le reste sans bénéficier de toute la subtilité nécessaire. La dominante du film est un comique de répétition un peu lourdingue, où l’itération devient vite indigestion (le surveillant qui mange des gâteaux industriels, l’élève de SEGPA qui interpelle un autre assistant de vie scolaire pour dire qu’il est du même bâtiment que lui, la grossièreté du prof de sport etc...). Attention ! On rit souvent bien sûr, la comédie n’est pas ratée, mais cela passe exclusivement par la qualité du dialogue. Les jeunes diraient par les punchlines...
On en vient alors au troisième registre du film, le drame, qui, même s’il est discret, ne vient que confirmer les poncifs de la vie de banlieue. La scène du tragique accident de scooter et de son personnage shakespearien ainsi que le conseil de discipline plutôt cruel dans le message qu’il délivre font du film un fourre-tout, là où Entre les murs, malgré ses quelques clichés parvenait à se saisir plus directement des enjeux d’une année scolaire en banlieue.
Pour résumer, ce mélange des genres ne permet pas de donner une réelle ossature au film à moins qu’il ne s’agisse de montrer que la vie en cité n’est rien d’autre qu’une somme d’émotions changeantes, où l’on rêve, l’on rit, l’on pleure. Ces “choses de la vie” peut-être oubliées par le reste de la société, désormais collé devant les écrans.