Michel Leclerc sort de sa zone de confort et emmène Jean-Pierre Bacri en voiture hybride sur des chemins existentiels. Pour un road-movie inégal et inabouti, sauvé par son formidable acteur.
On connaissait Michel Leclerc pour ses talents de scénariste de films engagés à gauche à l’univers bricolé bouillonnant de vie, de l’histoire d’amour touchante de J’invente rien au succès du Nom des gens en passant par Télé-Gaucho. Avec La Vie très privée de Monsieur Sim, le metteur en scène passe un cap et adapte pour la première fois un roman de Jonathan Coe tout en se frottant au road-movie, genre qu’il n’avait alors jamais abordé. Et même en s’entourant de sa scénariste du Nom des gens Baya Kasmi, le tout s’avère pourtant à la fois maladroit et inabouti. Parce que La Vie très privée de Monsieur Sim passe son temps à alourdir une route qu’il peinait déjà à maîtriser, l’unique intérêt du quatrième long-métrage de Michel Leclerc résidant dans la partition de son acteur, l’immense Jean-Pierre Bacri qui interprète la solitude de la plus bouleversante des manières.
Trafic chargé
Parce que François Sim, “comme la carte”, est en dépression. Après que sa femme l’ait quitté, qu’il ait perdu son travail et que sa visite chez son paternel ne semble ravir personne, un job de représentant commercial pour brosses à dents écologiques va lui permettre de prendre la route et revisiter son passé. Et si l’idée de comparer le cheminement du personnage à celui du fascinant et mystérieux Donald Crowhurst n’est pas une mauvaise idée, cela ne semble pourtant pas suffir à Michel Leclerc qui usera de multiples lourdeurs comme autant de pistes explorées sans être approfondies, d’un film qui se met alors à dangereusement tanguer. Comme la dépression ne suffit pas, on adjoindra alors à François Sim autant de pathos que possible, en y mêlant moults flashbacks et un superbe casting porté par les inséparables Vincent Lacoste et Félix Moati, Vimala Pons, Valéria Golino, Isabelle Gélinas et même Mathieu Amalric qui ne serviront malheureusement que de simples figurants à un film qui ne sait hélas jamais quel chemin prendre.
Il y a pourtant dans La Vie très privée de Monsieur Sim, ce syndrome particulier de la prestation de l’acteur dépassant largement l’intérêt du film. Si Michel Leclerc confie que le choix de Jean-Pierre Bacri l’avait convaincu et motivé pour un rôle que l’acteur avait trop peu joué, l’on ne peut à la découverte de son investissement que lui donner raison. Si cette année-là, le César du Meilleur Acteur s’en était allé à Vincent Lindon pour La Loi du Marché, force est de constater que la concurrence était rude avec la prestation d’un Jean-Pierre Bacri qui se trouve ici dans la peau d’un personnage que la solitude et l’effacement ont envahi. Le film de Michel Leclerc se plaît ainsi à filmer l’acteur au plus près, enfermé dans son monospace hybride, avec le GPS comme seul compagnon, et le numéro de l’acteur complètement mis à nu. On n’avait ainsi rarement vu l’acteur aussi bouleversant depuis Le Goût des Autres, dans la peau d’un personnage livré à lui-même avec un passé qui détruit et empêche d’avancer.
Bacri rechargé
La vie très privée de Monsieur Sim semble ainsi devoir en permanence s’accrocher à son acteur pour recoller les morceaux d’un récit fouillis et fortement empesé, dont même la conclusion abrupte semble aussi précipitée que maladroite. Les multiples intrigues semblent de plus alourdir un cheminement personnel qui demeurait déjà un immense sujet en soi. Loin des ses comédies engagées, Michel Leclerc semble donc se rassurer en inondant son road-movie de faux rebondissements, comme s’il se plaisait à rejouer l’équation si précise de la comédie. Plus près du poids-lourd que du voyage en solitaire, La vie très privée de Monsieur Sim tranche alors net avec son cheminement existentiel modeste et intime en se vautrant dans le pathos, et en oubliant de ne compter que sur le visage de son acteur principal pour nous faire voyager. On trouve ainsi les plus belles scènes du film de Michel Leclerc dans les moments de solitude d’un Jean-Pierre Bacri, seul sur la route, perdu dans la nuit, où sa rage et son égarement personnel et professionnel emmènent le film vers ce qu’il visait être à la base : le portrait d’une solitude qui après avoir assumé les coups du passé, peut enfin se relever et voir l’avenir de la plus radieuse des façons. Ce n’était donc pas si compliqué, heureusement donc que Jean-Pierre Bacri semble chargé à bloc.
Ainsi, si Michel Leclerc ne se trouve jamais à l’aise avec un genre qu’il ne maîtrise pas, se sentant obligé de noyer son film de pathos, faisait ainsi prendre à cette vie très privée de Monsieur Sim autant de routes que de récits inaboutis, il peut cependant pleinement compter sur Jean-Pierre Bacri, figure de solitude bouleversante et déchirante dont la peine s’entend même sur des routes isolées et perdues au fin-fond de la nuit.
Critique à retrouver (avec bien d'autres) sur cinefocus.fr