Capitalisme noir

Pas le plus connu de la filmographie de Yasuzo Masumura, La Voiture d'essai noire est un bon film noir et assez original, puisque l'histoire traite de l'espionnage industriel. Monté comme un film policier, voire comme un pur film d'espionnage, le scénario détonne puisque l'enjeu paraît ici dérisoire. Il ne s'agit pas de défendre son pays ou d'élucider une sombre affaire de meurtre. Les protagonistes essaient ici simplement de devancer l'entreprise concurrente au bénéfice de leur propre compagnie. Il y a alors un gouffre énorme entre la nature des personnages, de simples salariés d'une entreprise commerciale, et les moyens employés : chantage, pressions, vols, écoutes, prostitution, intimidations, interrogatoires musclés et enregistrés… C'est précisément en ça que le film est intelligent : il dénonce, parfois avec caricature, parfois avec un réalisme frappant, les excès d'un capitalisme débridé, et d'ailleurs mené par d'anciens officiers de l'armée. Et c'est d'ailleurs très intéressant de voir que dès l'après-guerre, un pays converti à 100% au libéralisme américain se posait déjà des questions sur le bien-fondé de cette doctrine économique tout en dressant des parallèles entre libéralisme et militarisme. Passé ce fond passionnant, le déroulement du film en lui-même est assez plat. Le scénario n'est pas surprenant même avec les quelques retournements de situation, les personnages sont lisses et attendus, la morale finale de l'histoire est à la fois évidente et pauvre, avec une rédemption bien tardive d'un des personnages quand l'autre s'enfonce dans ces pratiques.

Je me rappellerai enfin que le film avait été introduit par un Allemand, qui avait dit "Je ne comprends pas pourquoi ils n'essaient pas juste de faire une meilleure voiture pour devancer l'autre entreprise". Ou comment une personne nourrie à l'ordo-libéralisme et au mythe de la toute-puissance de l'efficience des marchés, même mise face aux travers évidents et documentés de l'économie libérale, reste accrochée à ses principes plus fictifs que n'importe quel film au monde.