C’est l’une des grandes révélations de cette Mostra de Venise 2020, qui a bravé la tempête pour avoir lieu coûte que coûte en présentiel, là où tant d’autres festivals étaient contraints d’abdiquer devant le virus et d’annuler leur édition, de reporter ou de basculer sur un format digital.
Depuis lors, La Voix d’Aïda (Quo Vadis Aida de son titre original) n’a pas arrêté de faire parler de lui. Sélectionné pour représenter son pays d’origine, la Bosnie, aux Oscars, le film se retrouve finalement dans la très select liste des nommés à l’Oscar du meilleur film étranger 2021 (décerné sans trop de surprise au Drunk de Thomas Vinterberg). Belle performance !
Inutile de tourner plus longtemps autour du pot : La Voix d’Aïda est indéniablement l’un des meilleurs films art & essai de l’année, un coup de poing cinématographique. Je le dis sans honte, ça faisait très longtemps que je n’avais versé ma petite larme devant un film !
Le long métrage de Jasmila Žbanić (à qui l’on devait déjà Sarajevo, mon amour en 2006, Ours d’Or à Berlin, excusez du peu) est tout à la fois sidérant et bouleversant. Par bien des aspects, il redonne espoir dans la magie du cinéma, après tous ces longs mois de fermeture des salles et d’hégémonie des plateformes qui proposent « des contenus » à leurs « consommateurs ».
Nous sommes à Srebrenica, en Bosnie, en juillet 1995. L’armée serbe avance sur la ville et le camp de réfugiés installé en périphérie par l’ONU n’a pas la capacité d’accueillir tous ces civils, terrorisés par la guerre balkanique. Aïda, une ancienne professeure d’anglais, est recrutée par les Casques Bleus pour servir d’interprète et calmer les foules. Progressivement, nous assistons médusés aux pressions de plus en plus insistantes de l’armée serbe, à l’impuissance des soldats de l’ONU à protéger les populations, et au déferlement de la violence et de la haine entre peuples. Jusqu’au bout, nous refusons de croire que le pire est inévitable et lorsque celui-ci se produit, nous sommes pris à la gorge et dévastés.
Vous le comprendrez facilement, La Voix d’Aïda est un film de guerre qui n’est pas conseillé aux âmes sensibles. Le long métrage m’a fait penser par bien des aspects au magnifique film du réalisateur hongrois László Nemes, Le fils de Saul. Outre le sentiment d’asphyxie que procure le film, la réalisation reste toujours au plus près d’Aïda, nous la suivons dans ses courses à travers le hangar de l’ONU, à se démener pour remplir sa mission de traductrice et pour sauver sa famille, coincée à l’extérieur du camp. Un climat immersif que l’on retrouvait dans le film récompensé à Cannes en 2015.
Quelques séquences vont durablement marquer ma cinéphilie. Celle de la danse folklorique – flashback des temps heureux – où chacun fait trois pas chorégraphiés en lançant un perçant regard caméra ; ainsi que ces moments de détresse sur le visage du commandant des Casques Bleus lorsque la situation lui échappe et qu’il devient évident que des massacres ont lieu. Globalement, toutes les réactions des petits bleus de l’ONU sont saisissantes.
La Voix d’Aïda possède également une photographie particulièrement réussie. Réalisée par la talentueuse chef opératrice Christine A. Maier, elle fait la part belle aux jeux d’ombres sur les visages fatigués des réfugiés.
Impossible de terminer cette critique sans évoquer Jasna Djuricic, l’actrice qui incarne Aïda et qui avait déjà joué devant la caméra de Jasmila Žbanić dans Les Femmes de Visegrad en 2013, où elle possédait un rôle secondaire. Du premier au dernier plan, Jasna est magnétique. Sans trop en dire, l’une des scènes finales se passant plusieurs années après la guerre dans un gymnase et où elle se laisse déborder par l’émotion m’a vraiment chamboulé.
Souhaitons tout le meilleur à Condor distribution pour la sortie de ce film puissant et bouleversant. Peu familier de cette guerre de Bosnie, je trouve que le film remplit un important devoir de mémoire, tout en proposant à ses spectateurs un thriller effrayant.